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    8 - Luther devant la diète de Worms

    Un nouvel empereur, Charles Quint, était monté sur le trône d’Allemagne. Les émissaires de Rome s’empressèrent de lui présenter leurs félicitations et de tentèrent de l’amener à utiliser son pouvoir contre la Réforme. D’un autre côté, l’électeur de Saxe, auquel Charles Quint devait en grande partie sa couronne, le supplia de ne prendre aucune mesure contre Luther avant de lui avoir accordé une audience. L’empereur se trouva ainsi placé dans une position lui causant un grand embarras et une grande perplexité. Les papistes ne se satisferaient de rien d’autre qu’un édit impérial condamnant Luther à mort. L’électeur avait déclaré fermement que « ni sa majesté impériale, ni aucune autre personne n’avait montré que les écrits de Luther aient été réfutés ». Par conséquent, il demandait « qu’un sauf-conduit soit accordé au Docteur Luther pour lui permettre de comparaître devant un tribunal de juges érudits, pieux et impartiaux 1J. H. Merle d’Aubigné, Histoire de la Réformation du seizième siècle, livre 6, chapitre 11. ».GE3 111.1

    L’attention de tous les partis se dirigea maintenant vers l’assemblée des États allemands qui se réunit à Worms peu de temps après l’accession de Charles Quint au trône de l’Empire. Ce Conseil national avait d’importantes questions et intérêts politiques à examiner. Pour la première fois, les princes allemands allaient rencontrer leur jeune monarque en assemblée délibérante. Les dignitaires de l’Église et de l’État accoururent de tous les confins de la patrie. Seigneurs séculiers, hommes de haute naissance, puissants et jaloux de leurs droits héréditaires, ecclésiastiques princiers, conscients de la supériorité de leur rang et de leur pouvoir, chevaliers de cour suivis de leurs hommes d’armes, ambassadeurs venus de pays étrangers et lointains, tous se réunirent à Worms. Cependant, dans cette vaste assemblée, le sujet qui provoquait le plus d’intérêt était la cause du réformateur saxon.GE3 111.2

    Charles Quint avait auparavant chargé l’électeur de Saxe d’amener Luther avec lui à la diète de Worms, l’assurant de sa protection et lui garantissant un libre débat, avec des personnes compétentes, sur les questions controversées. Luther désirait vivement comparaître devant l’empereur. Mais sa santé était, à ce moment, très mauvaise. Cependant, il écrivit à l’électeur: « Si je ne peux pas aller à Worms en bonne santé, je m’y ferai porter, aussi malade que je sois. Car, si l’empereur m’appelle à y aller, je ne puis douter que ce ne soit un appel de Dieu lui-même. S’ils veulent user de violence contre moi, ce qui est très probable (car ne n’est pas pour leur instruction qu’ils m’ordonnent d’y comparaître), je remets cette affaire entre les mains du Seigneur. Celui qui sauva les trois jeunes gens de la fournaise ardente est encore vivant et règne toujours. S’il ne souhaite pas me sauver, ma vie a peu d’importance. Évitons seulement que l’Évangile soit exposé au mépris des méchants, et versons notre sang pour sa cause, de peur que ce soit eux qui triomphent. Ce n’est pas à moi de décider si c’est ma vie ou ma mort qui contribuera le plus au salut de tous. [...] Vous pouvez tout attendre de moi [...] sauf de fuir ou de me rétracter. Fuir, je ne le puis; et me rétracter, je le peux encore moins 2 J. H. Merle d’Aubigné, op. cit., livre 7, chapitre 1.GE3 111.3

    La nouvelle que Luther allait comparaître devant la diète de Worms produisit dans cette ville un émoi général. Aleander, le légat du pape, auquel cette affaire avait été spécialement confiée, fut alarmé et irrité. Il se rendait compte que les conséquences de cette comparution seraient désastreuses pour la cause de la papauté. Faire une enquête sur un cas à propos duquel le pape avait déjà prononcé une sentence de condamnation, c’était jeter le mépris sur l’autorité du souverain pontife. De plus, il redoutait que l’éloquence et les puissants arguments de cet homme puissent détourner de nombreux princes de la cause du pape. C’est pourquoi il protesta énergiquement auprès de Charles Quint contre la comparution de Luther à Worms. C’est à peu près à ce moment que fut publiée la bulle annonçant l’excommunication de Luther. Cela, ajouté aux arguments du légat, amena l’empereur à céder. Il écrivit à l’électeur que si Luther ne voulait pas se rétracter, il devait rester à Wittenberg.GE3 112.1

    Non content de cette victoire, Aleander manœuvra de toutes ses forces et de toute sa ruse pour obtenir la condamnation de Luther. Avec une persévérance digne d’une meilleure cause, il attira sur cette affaire l’attention des princes, des prélats et des autres membres de cette assemblée, accusant le réformateur de « sédition, impiété et blasphème ». Mais la véhémence et l’animosité manifestée par le légat ne révélaient que trop bien de quel esprit il était animé. « Il est animé par la haine et la vengeance, fut la remarque générale, beaucoup plus que par le zèle et la piété 3 Idem,.» La majorité des membres de la diète étaient plus que jamais désireux de considérer favorablement la cause de Luther.GE3 112.2

    Redoublant de zèle, Aleander fit valoir à l’empereur son devoir de mettre à exécution les édits papaux. Or, selon les lois allemandes, cela ne pouvait se faire sans l’assentiment des princes. Vaincu par l’importunité du légat, Charles Quint lui ordonna de présenter sa cause devant la diète. « Ce fut une grande victoire pour le nonce. L’assemblée était importante; la cause l’était encore plus. Aleander devait plaider en faveur de Rome, ... la mère et la maîtresse de toutes les églises. » Il devait revendiquer la primauté de Pierre devant les princes de la chrétienté assemblées en ce lieu. « Il possédait le don de l’éloquence, et il se montra à la hauteur de cette occasion. La providence divine avait voulu que Rome paraisse et plaide par la bouche de ses orateurs les plus compétents en présence du plus auguste des tribunaux avant d’être condamnée 4 J. A. Wylie, Histoire du protestantisme, livre 6, chapitre 4.. » C’est avec une certaine appréhension que les partisans du réformateur attendaient les effets du discours d’Aleander. L’électeur de Saxe n’était pas présent. Mais, sur son ordre, quelques-uns de ses conseillers assistèrent à cette assemblée pour prendre note du discours du nonce.GE3 112.3

    Avec toute la puissance de son érudition et de son éloquence, Aleander entreprit de renverser la vérité. Il lança contre Luther accusation après accusation, le traitant d’ennemi de l’Église, de l’État, des vivants et des morts, du clergé et des laïcs, des conciles et des chrétiens individuels. « Les erreurs de Luther, déclara-t-il, suffisent à justifier la condamnation au bûcher de cent mille hérétiques. »GE3 112.4

    En concluant, il s’efforça de jeter le mépris sur les adhérents de la foi réformée: « Qui sont tous ces Luthériens? Une bande d’insolents pédagogues, de prêtres corrompus, de moines dissolus, d’avocats ignorants et de nobles dégradés, accompagnés de gens du commun qu’ils ont dévoyés et pervertis. Combien les catholiques leur sont supérieurs en nombre, en capacités et en pouvoir! Un décret unanime de cette illustre assemblée éclairera les simples, avertira les imprudents, décidera les hésitants et affermira les faibles 5J. H. Merle d’Aubigné, op. cit., livre 7, chapitre 3.. ”GE3 113.1

    C’est avec de telles armes qu’on a attaqué, dans tous les siècles, les partisans de la vérité. Ce sont encore ces mêmes arguments qu’on avance contre tous ceux qui osent présenter, en opposition aux erreurs populaires, les enseignements clairs et directs de la Parole de Dieu. GE3 113.2

    « Qui sont ces prédicateurs de nouvelles doctrines? s’exclament les partisans d’une religion populaire. Ils sont sans instruction, peu nombreux et appartiennent aux plus basses classes de la société. Et, cependant, ils prétendent détenir la vérité et être le peuple élu de Dieu. Ils sont ignorants et se sont laissé abuser. Combien supérieure en nombre et en influence est notre Église ! Combien de grands hommes et d’érudits avons-nous parmi nous ! Combien notre pouvoir est plus grand!» Tels sont les arguments qui exercent une influence décisive sur le monde; mais ils ne sont pas plus probants aujourd’hui qu’à l’époque du réformateur.GE3 113.3

    La Réforme n’a pas pris fin avec Luther, comme beaucoup le supposent. Elle doit se poursuivre jusqu’à la fin de l’Histoire de ce monde. Luther a eu une grande œuvre à réaliser en transmettant aux autres la lumière que Dieu avait fait briller sur lui; cependant, il n’a reçu qu’une partie de la lumière qui devait être donnée au monde. Depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui, de nouvelles lumières ont sans cesse brillé sur les Écritures, et de nouvelles vérités se sont constamment développées.GE3 113.4

    Le discours du légat produisit une profonde impression sur les membres de la diète. Luther n’était pas présent pour renverser le champion du pape avec les vérités claires et convaincantes de la Parole de Dieu. Personne ne tenta de prendre la défense du réformateur. L’opinion générale était disposée, non seulement à le condamner, lui et ses doctrines, mais aussi, si possible, à déraciner l’hérésie. Rome avait profité de l’occasion la plus favorable pour défendre sa cause. Tout ce qu’elle pouvait dire pour sa propre justification avait été dit. Mais cette apparente victoire fut en réalité le signal de sa défaite. Dès ce moment, le contraste entre la vérité et l’erreur deviendrait d’autant plus manifeste qu’elles allaient pouvoir se livrer ouver-tement bataille. Jamais plus, à partir de ce jour, Rome ne retrouva la sécurité dans laquelle elle avait vécu jusque-là.GE3 113.5

    Bien que la plupart des membres de la diète n’eussent pas hésité à livrer Luther à la vengeance de Rome, beaucoup d’entre eux se rendaient compte de la dépravation qui existait dans l’Église. Ils la déploraient et souhaitaient qu’on mette fin aux abus subis par le peuple allemand comme conséquence de la corruption et de la cupidité de la hiérarchie. Le légat avait présenté la domination papale sous son jour le plus favorable. Mais le Seigneur poussa alors un membre de la diète à donner une description exacte des retombées de sa tyrannie. Avec une noble fermeté, le duc Georges de Saxe se leva dans cette assemblée princière et décrivit avec une impitoyable exactitude les tromperies et les abominations de la papauté, et leurs sinistres conséquences. En concluant, il déclara :GE3 113.6

    «Tels sont quelques-uns des abus qui crient contre Rome. Toute honte a été bannie, et leur seul objectif est [...] l’argent, l’argent, l’argent, [...] de sorte que les prédicateurs, qui devraient enseigner la vérité, ne profèrent que des mensonges, et non seulement on les tolère, mais on les récompense, car plus grandes sont leurs tromperies, plus grands sont leurs gains. C’est de cette source corrompue que proviennent tant d’eaux polluées. La débauche tend la main à l’avarice. [...] Hélas, ce sont les scandales provoqués par le clergé qui précipitent tant de pauvres âmes dans la damnation éternelle. Une réforme générale doit être réalisée 6Ibid., chapitre 4.. ”GE3 114.1

    Luther lui-même n’aurait pas pu présenter une dénonciation aussi compétente et aussi énergique des abus de la papauté. Et le fait que l’orateur était un ennemi avéré du réformateur donna encore plus de crédit à ses paroles.GE3 114.2

    Si les yeux de cette assemblée avaient été ouverts, elle aurait pu voir au milieu d’elle des anges de Dieu, projetant des rayons de lumière au travers des ténèbres de l’erreur et ouvrant les esprits et les cœurs à la réception de la vérité. Ce fut la puissance du Dieu de vérité et de sagesse qui domina les adversaires de la Réforme et qui prépara ainsi le chemin à la grande œuvre sur le point de s’accomplir. Martin Luther n’était pas présent; mais la voix d’un Être plus grand que Luther s’était fait entendre dans cette assemblée.GE3 114.3

    Les membres de la diète nommèrent aussitôt une commission chargée de dresser la liste de toutes les exactions papales qui pesaient si lourdement sur le peuple allemand. Cette liste, contenant cent un griefs, fut présentée à l’empereur, en lui demandant de prendre immédiatement des mesures pour corriger ces abus. « Que d’âmes chrétiennes perdues! disaient les pétitionnaires. Quelles déprédations, quelles extorsions résultent des scandales dont est entourée la tête spirituelle de la chrétienté ! C’est notre devoir d’empêcher la ruine et le déshonneur de notre peuple. C’est pour cette raison que nous vous supplions très humblement, mais de manière très pressante, d’ordonner une réforme générale et d’entreprendre sa réalisation 7Idem.. ”GE3 114.4

    L’assemblée exigea alors que le réformateur comparaisse devant elle. En dépit des supplications, des protestations et des menaces d’Aleander, l’empereur y consentit enfin, et Luther fut invité à se présenter devant la diète. Cette convocation était accompagnée d’un sauf-conduit qui lui garantissait son retour en lieu sûr. Un héraut fut chargé de lui apporter ces deux documents à Wittenberg et de l’escorter à Worms.GE3 114.5

    Les amis de Luther furent terrifiés et affligés. Connaissant les préjugés et l’inimitié qui existaient contre lui, ils craignaient que même son sauf-conduit ne soit pas respecté, et ils le supplièrent de ne pas mettre sa vie en danger. Il leur répondit: « Les papistes ne désirent pas ma venue à Worms, mais ma condamnation et ma mort. Peu importe! Priez non pour moi, mais pour la Parole de Dieu. [...] Le Christ m’accordera son Esprit pour vaincre ces ministres de l’erreur. Je les ai méprisés pendant ma vie; je triompherai d’eux par ma mort. À Worms, ils s’affairent pour me contraindre à me rétracter. Voici quelle sera ma rétractation : j’ai dit autre- fois que le pape était le vicaire du Christ; mais, maintenant, j’affirme qu’il est l’adversaire de notre Seigneur et l’apôtre du diable 8Ibid., chapitre 6.. »GE3 114.6

    Luther n’allait pas entreprendre seul ce dangereux voyage. Outre le messager impérial, trois de ses amis les plus fidèles décidèrent de l’accompagner. Melanchthon souhaitait ardemment se joindre à eux. Lié à Luther par une étroite amitié, il aspirait à le suivre si nécessaire, jusqu’en prison ou à la mort. Mais Luther refusa. S’il devait périr, l’espoir de la Réforme devait reposer sur son jeune collaborateur. En se séparant de Melanchthon, le réformateur lui dit: « Si je ne reviens pas, et si mes ennemis me mettent à mort, continue à enseigner et demeure ferme dans la vérité. Travaille à ma place. [...] Si tu survis, ma mort aura peu d’importance 9Ibid., chapitre 7.. » Des étudiants et des citoyens qui s’étaient rassemblés pour assister au départ de Luther furent profondément émus. Une multitude de personnes dont le cœur avait été touché par l’Évangile lui dit adieu en pleurant. C’est ainsi que le réformateur et ses compagnons quittèrent Wittenberg.GE3 115.1

    En cours de route, ils se rendirent compte que de sombres pressentiments préoccupaient le peuple. Certaines villes ne leur firent aucun honneur. Comme ils s’arrêtaient pour passer la nuit, un prêtre ami de leur cause exprima ses craintes en faisant à Luther le portrait d’un réformateur italien qui avait subi le martyre. Le lendemain, ils apprirent que les écrits de Luther avaient été condamnés à Worms. Des messagers impériaux proclamaient le décret de l’empereur et ordonnaient au peuple de remettre aux magistrats les écrits interdits. Le héraut, craignant pour la sécurité de Luther lors de cette assemblée, et pensant que sa résolution était peut-être déjà ébranlée, lui demanda s’il souhaitait toujours poursuivre sa route. Luther lui répondit: « Même si je suis interdit dans toutes les villes, je continuerai 10Idem.GE3 115.2

    À Erfurt, Luther fut reçu avec les honneurs. C’est entouré de foules admiratrices qu’il traversa les rues qu’il avait souvent parcourues avec sa bourse de mendiant. Il visita la cellule qu’il avait occupée dans son ancien monastère et réfléchit aux luttes par lesquelles il était passé et au travers desquelles la lumière qui illuminait maintenant l’Allemagne avait été répandue dans son âme. On le supplia de prêcher. Cela lui avait été interdit; mais le héraut lui en donna la permission, et le moine qui avait autrefois fait les basses besognes du monastère monta en chaire.GE3 115.3

    Il s’adressa à la foule assemblée sur ces paroles du Christ : « Que la paix soit avec vous ! dit-il. Les philosophes, les docteurs et les écrivains ont tenté d’enseigner aux hommes le chemin de la vie éternelle, mais ils n’ont pas réussi. Je vais maintenant vous le dire : [...] Dieu a ressuscité un Homme d’entre les morts, le Seigneur Jésus-Christ, pour pouvoir détruire la mort, extirper le péché et fermer les portes de l’enfer. Telle est l’œuvre du salut. [...] Le Christ a vaincu! Telle est la joyeuse nouvelle; et nous sommes sauvés par ses œuvres, et non par les nôtres. [...] Notre Seigneur Jésus-Christ a dit: “Que la paix soit avec vous! Regarde mes mains 11Jean 20.26,27.!” C’est-à-dire: Regarde, ô homme, c’est moi, moi seul, qui ai ôté ton péché et qui t’ai racheté ; et, maintenant, tu as la paix, dit le Seigneur 12J. H. Merle d’Aubigné, ibid., chapitre 7.. »GE3 115.4

    Il poursuivit en montrant que la véritable foi se manifeste par une vie sainte. « Puisque Dieu nous a sauvés, veillons à ce que nos œuvres lui soient agréables.GE3 115.5

    Es-tu riche ? Que tes biens servent à répondre aux besoins des pauvres. Es-tu pauvre ? Que tes services soient agréables aux riches. Si tes œuvres ne sont utiles qu’à toi seul, le service que tu prétends offrir à Dieu n’est que mensonge 13Idem.. ”GE3 116.1

    L’auditoire écoutait, comme fasciné. Le pain de vie était présenté à ces âmes affamées ; le Christ était exalté devant leurs yeux, au-dessus des papes, des légats, des empereurs et des rois. Luther ne mentionna pas la situation périlleuse dans laquelle il se trouvait lui-même. Il ne fit rien pour attirer sur sa personne l’attention ou la sympathie. En contemplant le Christ, il s’était lui-même perdu de vue. Il se cachait derrière l’Homme du Calvaire, ne cherchant qu’à présenter Jésus comme le Rédempteur du pécheur.GE3 116.2

    Pendant que le réformateur poursuivait sa route, on le considérait partout avec un profond intérêt. Une foule avide se pressait autour de lui, et des voix amies l’avertissaient des desseins des romanistes. « Ils vous brûleront, disaient certains, et ils réduiront votre corps en cendres, comme ils l’ont fait pour Jean Hus. » Luther répondait: « Même s’ils allumaient un feu qui brûle de Worms à Wittenberg et dont les flammes atteindraient le ciel, je le traverserais au nom du Seigneur; j’entrerais dans les mâchoires de ce béhémoth et lui briserais les dents en confessant le nom du Seigneur Jésus-Christ 14Idem.GE3 116.3

    La nouvelle qu’il approchait de Worms produisit un profond émoi. Ses amis tremblaient pour sa sécurité; ses ennemis craignaient pour le succès de leur cause. De gros efforts furent faits pour le dissuader de pénétrer dans la ville. À l’instigation des papistes, on tenta de le persuader de se rendre au château d’un chevalier ami, où, déclarait-on, toutes les difficultés pourraient être résolues à l’amiable. Des amis tentèrent de l’effrayer en lui décrivant les dangers qui le menaçaient. Tous leurs efforts furent vains. Luther, sans se laisser ébranler, déclara: « Même s’il y avait à Worms autant de diables qu’il y a de tuiles sur les toits, j’y entrerais 15Idem.. »GE3 116.4

    Lorsqu’il arriva à Worms, une vaste foule s’assembla à la porte de la ville pour l’accueillir. Une aussi grande foule ne s’était pas assemblée pour accueillir l’empereur lui-même. Un profond émoi se manifestait. S’élevant du milieu de la multitude, une voix perçante et plaintive chanta une mélodie funèbre comme pour avertir Luther du sort qui l’attendait. « Dieu sera ma défense », dit-il en descendant de sa voiture.GE3 116.5

    Les papistes n’avaient pas cru que Luther se risquerait vraiment à paraître à Worms, et son arrivée les remplit de consternation. L’empereur réunit aussitôt ses conseillers pour examiner quelle ligne de conduite il fallait suivre. L’un des évêques, un pur papiste, déclara: « Nous nous sommes longuement consultés sur cette affaire. Que votre majesté impériale se débarrasse immédiatement de cet homme. L’empereur Sigismond n’a-t-il pas fait brûler Jean Hus? Nous ne sommes tenus ni à accorder un sauf-conduit à un hérétique, ni à le respecter. » « Non, répondit l’Empereur, nous devons tenir notre promesse 16Ibid., chapitre 8.. » Il fut donc décidé d’entendre la cause du réformateur.GE3 116.6

    Tous les habitants de la ville étaient désireux de voir cet homme remarquable, et une foule de visiteurs envahit bientôt la maison où il logeait. Luther était à peine remis de sa récente maladie ; il était fatigué du voyage, qui avait duré deux semaines entières; il devait se préparer pour les événements importants du lendemain, et il avait besoin de calme et de repos. Mais le désir de le voir était si grand qu’il n’avait pris que quelques heures de repos lorsque nobles, chevaliers, prêtres et citoyens se rassemblèrent avidement autour de lui. Parmi eux se trouvaient plusieurs de ceux qui avaient réclamé si audacieusement à l’empereur une réforme des abus du clergé et qui, dit Luther, « avaient été libérés par mon Évangile 17Martyn, The Life and Times of Luther [La vie et l’époque de Luther], volume 1, p. 393.». Des ennemis aussi bien que des amis vinrent contempler ce moine intrépide. Il les reçut avec un calme inébranlable, répondant à tous avec dignité et sagesse. Son attitude était ferme et courageuse. Son visage pâle et maigre, portant encore les traces de sa maladie et de ses travaux, affichait une expression aimable et même joyeuse. La solennité et la profonde gravité de ses paroles lui donnaient une puissance à laquelle même ses ennemis avaient peine à résister. Ses opposants comme ses amis étaient remplis d’admiration. Certains étaient convaincus qu’une influence divine l’accompagnait. D’autres déclaraient, comme les Pharisiens l’avaient fait pour le Christ : « Il a un démon 18Jean 10.20.GE3 116.7

    Le lendemain, Luther fut convoqué pour comparaître devant la diète. Un officier impérial avait été désigné pour l’escorter à la salle d’audience, mais c’est avec difficulté qu’il atteignit ce lieu. Toutes les avenues étaient encombrées de spectateurs désireux de voir ce moine qui avait osé braver l’autorité du pape.GE3 117.1

    Alors qu’il était sur le point d’entrer en présence de ses juges, un vieux général, héros de nombreuses batailles, lui dit avec bonté: « Pauvre moine, pauvre moine, tu vas maintenant te montrer plus courageux que moi-même ou tout autre officier ne l’avons jamais été dans nos batailles les plus sanglantes. Mais si ta cause est juste, et si tu en as l’assurance, va de l’avant au nom de Dieu et ne crains rien. Dieu ne t’abandonnera pas 19J. H. Merle d’Aubigné, ibid., chapitre 8.. »GE3 117.2

    Luther se présenta enfin devant cette assemblée. C’est l’empereur qui occupait le trône. Il était entouré des plus illustres personnages de l’Empire. Jamais homme n’avait comparu devant une assemblée plus imposante que celle devant laquelle Martin Luther devait répondre de sa foi. « Cette comparution était déjà en elle-même une éclatante victoire sur la papauté. Le souverain pontife avait condamné cet homme ; mais celui-ci se tenait maintenant devant un tribunal qui, par cet acte même, se plaçait au-dessus de l’autorité papale. Le pape l’avait frappé d’interdit et coupé de toute relation avec la société ; cependant, Luther avait été convoqué dans un langage respectueux et avait été reçu devant la plus auguste assemblée du monde. Le pape l’avait condamné au silence perpétuel; mais il allait maintenant prendre la parole devant des milliers d’auditeurs attentifs, venant des endroits les plus éloignés de la chrétienté. Une immense révolution avait ainsi été effectuée par l’intermédiaire de Luther. Rome descendait déjà de son trône, et c’est la voix d’un moine qui avait provoqué cette humiliation 20Idem.. »GE3 117.3

    En présence de cette assemblée puissante et titrée, le réformateur à l’humble naissance semblait être impressionné et embarrassé. Plusieurs princes, remarquant son émotion, s’approchèrent de lui, et l’un d’eux murmura: « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme 21Matthieu 10.28.. » Un autre lui dit : « Vous serez menés, à cause de moi, devant des gouverneurs et devant des rois. [...] Ce que vous direz vous sera donné à ce moment même; car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous 22Matthieu 10.18-20.. » Ainsi, les grands de ce monde citèrent les paroles du Christ pour fortifier son serviteur à l’heure de l’épreuve.GE3 117.4

    Luther fut conduit directement face au trône de l’empereur. Un profond silence se fit dans cette vaste assemblée. Puis, un officier impérial se leva et, désignant une collection de ses écrits, exigea que le réformateur réponde à deux questions. Il lui demanda s’il les reconnaissait comme siens, et s’il avait l’intention de répudier les opinions qu’il y avait exprimées. Les titres des livres ayant été lus, Luther répondit d’abord à la première question en reconnaissant ces livres comme étant les siens. « Quant à la seconde, dit-il, attendu que c’est une question qui concerne la foi et le salut des âmes, et qui implique la Parole de Dieu, le plus grand et le plus précieux trésor existant dans le ciel ou sur la terre, j’agirais avec imprudence si je répondais sans réfléchir. Je pourrais en affirmer moins que l’exigent les circonstances, ou plus que le veut la vérité, péchant ainsi contre cette parole du Christ: “Si quelqu’un me renie devant les gens, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux 23Matthieu 10.33..” C’est pourquoi je supplie votre impériale majesté, en toute humilité, de m’accorder le temps nécessaire pour pouvoir répondre sans pécher contre la Parole de Dieu 24J. H. Merle d’Aubigné, ibid., chapitre 8..”GE3 118.1

    En présentant cette requête, Luther avait agi avec sagesse. Cette ligne de conduite convainquit l’assemblée qu’il n’agissait ni par animosité, ni par impulsion. Un tel calme et une telle maîtrise de soi, inattendus chez un homme qui s’était montré audacieux et intransigeant, fortifièrent sa cause et lui permirent, par la suite, de répondre avec une prudence, une décision, une sagesse et une dignité qui surprirent et déçurent ses adversaires et qui constituèrent un reproche à leur insolence et à leur orgueil.GE3 118.2

    Il devait comparaître de nouveau le lendemain pour donner sa réponse définitive. Pendant un moment, le cœur lui manqua à la vue des forces liguées contre la vérité. Sa foi défaillit. Il fut saisi de crainte et de tremblements, et accablé d’horreur. Les dangers se multipliaient devant lui. Ses ennemis semblaient être sur le point de triompher, et les puissances des ténèbres de remporter la victoire. De sombres nuages se massaient autour de lui, semblant le séparer de Dieu. Il désirait ardemment l’assurance que le Seigneur des armées serait avec lui. Dans l’angoisse de son âme, il se jeta le visage contre terre et répandit ces cris déchirants, provenant d’un cœur brisé, que Dieu seul pouvait pleinement comprendre :GE3 118.3

    «Ô Dieu tout-puissant et éternel, plaida-t-il, que ce monde est terrible! Voici qu’il ouvre la gueule pour m’engloutir, et j’ai si peu de confiance en toi. [...] Si je dois mettre ma confiance dans les puissants de ce monde, tout est fini. [...] Ma dernière heure est arrivée, ma condamnation a été prononcée. [...] Ô Dieu, aide-moi contre toute la sagesse de ce monde! Fais-le, [...] toi seul; [...] car ce n’est pas mon œuvre, mais la tienne. Je n’ai rien à faire ici, rien à débattre avec les grands de ce monde. [...] Mais cette cause est la tienne, [...] et c’est une cause juste et éternelle. Ô Seigneur, aide-moi ! Dieu fidèle et immuable, je ne place ma confiance en aucun homme. [...] Tout ce qui vient de l’homme est incertain; tout ce qui vient de l’homme échoue. [...] Tu m’as choisi pour cette œuvre. [...] Tiens-toi à mes côtés, pour l’amour de ton Fils bien-aimé Jésus-Christ, qui est ma défense, mon bouclier et ma forteresse 25Idem.. »GE3 118.4

    Une providence infinie en sagesse avait permis à Luther de prendre conscience de la gravité de sa situation, afin qu’il ne se confie pas en sa propre force et ne se précipite pas dans le danger avec présomption. Cependant, ce n’était pas la crainte des souffrances personnelles, de la torture ou de la mort qui semblaient sur le point de fondre sur lui, qui le remplissait de terreur. L’heure de la crise était arrivée, et il ne se sentait pas assez qualifié pour l’affronter. Sa faiblesse pouvait compromettre la cause de la vérité. Ce n’était pas pour sa propre sécurité, mais pour le triomphe de l’Évangile, qu’il luttait avec Dieu. L’angoisse et le conflit de son âme étaient semblables à ceux de Jacob, qui avait combattu avec Dieu pendant toute une nuit auprès d’un ruisseau solitaire. Comme lui, il avait obtenu la victoire. Dans sa totale impuissance, sa foi se cramponna au Christ, le puissant Libérateur. Il fut fortifié par l’assurance qu’il ne paraîtrait pas seul devant cette assemblée. La paix revint dans son âme, et il se réjouit de pouvoir exalter la Parole de Dieu devant les chefs des nations.GE3 119.1

    L’esprit reposant sur Dieu, Luther se prépara à la lutte qui l’attendait. Il dressa le plan de sa réponse, examina des passages de ses propres écrits et tira des Saintes Écritures les preuves adéquates pour soutenir sa position. Puis, posant la main gauche sur le volume sacré, ouvert devant lui, il leva la droite vers le ciel et s’engagea à « demeurer fidèle à l’Évangile et à confesser sa foi librement, même s’il devait sceller son témoignage de son sang 26Idem.».GE3 119.2

    Lorsqu’il fut de nouveau mis en présence des membres de la diète, son attitude ne portait aucune trace de crainte ou de gêne. Calme et paisible, courageux et noble, il se tenait là, témoin de Dieu parmi les grands de ce monde. L’officier impérial lui demanda de nouveau quelle était sa décision : souhaitait-il répudier ses doctrines ? Luther répondit sur un ton réservé et humble, sans violence ni animosité. Son attitude était digne et respectueuse; cependant, il manifestait une confiance et une joie qui surprirent l’assemblée.GE3 119.3

    «Votre Majesté impériale, illustres princes, gracieux seigneurs, dit Luther, je réponds à la convocation qui m’a été fixée hier soir ; et, par la miséricorde de Dieu, je prie Votre Majesté et les illustres princes de daigner écouter ma cause, qui, je l’espère, est juste et vraie. Si, par ignorance, je ne parlais pas selon les formes convenables ou transgressais les usages et convenances de la cour, je vous prie de bien vouloir me pardonner; car je n’ai pas été élevé à la cour, mais dans la solitude d’un monastère 27Idem.. ”GE3 119.4

    Puis, entrant dans son sujet, il déclara que ses travaux publiés n’étaient pas tous de la même nature. Dans certains, il avait traité de la foi et des bonnes œuvres, et même ses ennemis les avaient déclarés non seulement inoffensifs, mais aussi utiles. Les rejeter serait condamner des vérités que toutes les parties reconnaissaient. D’autres dénonçaient la corruption et les abus de la papauté. Répudier ces œuvres fortifierait la tyrannie de Rome et ouvrirait encore plus grande la porte à de nom- breuses et graves impiétés. Enfin, dans une dernière catégorie de livres, il avait attaqué des individus qui soutenaient les maux existants. A ce sujet, il reconnut volontiers qu’il avait été plus violent qu’il ne convenait. Il ne prétendit pas être saint; mais il ne pouvait se résoudre à renier même ces livres, car une telle ligne de conduite encouragerait les ennemis de la vérité, qui en profiteraient alors pour dominer et maltraiter le peuple de Dieu avec encore plus de cruauté.GE3 119.5

    « Cependant, je ne suis qu’un homme, et non pas Dieu, continua-t-il. Je ne défendrai donc pas mes écrits autrement que l’a fait mon Seigneur le Christ pour défendre son enseignement. [...] “Si j’ai mal parlé, prouve-le 28Jean 18.23..” [...] Par la miséricorde de Dieu, je vous prie, Votre Majesté impériale, illustres princes et hommes de tous rangs, de me prouver à partir du témoignage des écrits prophétiques et évangéliques que je suis dans l’erreur. Je suis pleinement disposé à rejeter toute erreur dont on me convaincra; que dis-je? Je serai le premier à jeter mes livres au feu.GE3 120.1

    « Ce que je viens de dire montre clairement que j’ai soigneusement soupesé et examiné les détresses, dangers, troubles et discordes suscités dans le monde entier par mon enseignement. [...] Je me réjouis de constater que la Parole de Dieu est une cause de trouble et de discorde. Telle est la destinée, tel est le chemin de celui qui prend la Parole de Dieu, comme l’a dit le Christ: “Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée 29Matthieu 10.34.”. Dieu est merveilleux et terrible dans ses conseils. [...] Gardons-nous, en pensant réprimer la discorde, de maudire la Parole de Dieu et d’attirer un nouveau déluge de souffrances insupportables. [...] Je pourrais citer ici de nombreux exemples tirés de l’Écriture : le Pharaon, le roi de Babylone et les rois d’Israël, qui contribuèrent le plus sûrement à leur ruine précisément lorsqu’ils entreprirent, par des plans particulièrement habiles, de ramener la paix et l’ordre dans leur royaume. “Il déplace les montagnes sans qu’elles le sachent 30Job 9.5; J. H. Merle d’Aubigné, ibid., chapitre 8.. ” ”GE3 120.2

    Luther avait parlé en allemand; on le pria ensuite de répéter les mêmes paroles en latin. Bien qu’épuisé par l’effort qu’il venait de consentir, il accéda à cette demande et répéta son discours avec la même clarté et la même énergie que la première fois. La providence divine avait dirigé toutes choses. L’esprit de nombreux princes était si aveuglé par l’erreur et la superstition qu’en écoutant le premier discours, ils ne s’étaient pas rendu compte de la force du raisonnement de Luther; mais la répétition leur permit de percevoir distinctement les points présentés.GE3 120.3

    Ceux qui avaient fermé les yeux avec obstination à la lumière et résolu de ne pas se laisser convaincre de la vérité furent enragés par la puissance des paroles de Luther. Lorsqu’il cessa de parler, le porte-parole de la diète lui dit avec irritation: «Vous n’avez pas répondu à la question qui vous a été posée. [...] Nous exigeons une réponse claire et précise. [...] Voulez-vous, oui ou non, vous rétracter?»GE3 120.4

    Le réformateur répondit: « Puisque Votre Majesté et les illustres princes exigent de moi une réponse simple, je vous la donnerai sans subtilité ni arrière-pensée, et la voici: à moins d’être convaincu par le témoignage de l’Écriture ou par le bon sens le plus clair, je reste attaché aux passages bibliques que j’ai cités, et ma conscience reste captive de la Parole de Dieu. Je ne crois ni au pape, ni aux conciles seuls, car il est notoire qu’ils ont fréquemment commis des erreurs et se sont contre- dits les uns les autres. Je ne peux ni ne veux me rétracter; car il n’est ni prudent, ni conseillé d’agir contre sa propre conscience. Telle est ma position; je ne peux pas faire autrement ; que Dieu me vienne en aide. Amen 31Idem. »GE3 120.5

    C’est ainsi que cet homme juste se tint sur la fondation sûre qu’est la Parole de Dieu. La lumière céleste illuminait son visage. La grandeur et la pureté de son caractère, la paix et la joie de son cœur étaient manifestes aux yeux de toutes les personnes présentes pendant qu’il témoignait contre la puissance de l’erreur et pour la supériorité de la foi qui vainc le monde.GE3 121.1

    Toute l’assemblée resta muette d’étonnement pendant un instant. Lors de sa première réponse, Luther avait parlé à voix basse, avec une attitude respectueuse, presque soumise. Les partisans de l’Église de Rome l’avaient interprété comme une preuve que son courage commençait à lui manquer. Ils avaient considéré sa demande d’un délai comme un simple prélude à sa rétractation. Charles Quint lui-même, remarquant, presque avec mépris, le corps fatigué de ce moine et la simplicité de son vêtement et de son discours, avait déclaré: « Ce moine ne fera jamais de moi un hérétique ! » Le courage et la fermeté dont celui-ci faisait maintenant preuve, ainsi que la puissance et la clarté de son raisonnement, remplirent de surprise toutes les parties. L’empereur, ému d’admiration, s’exclama: « Ce moine parle avec un cœur intrépide et un courage inébranlable!” De nombreux princes allemands considéraient avec fierté et joie ce représentant de leur nation.GE3 121.2

    Les partisans de Rome avaient été battus. Leur cause apparaissait sous un jour extrêmement défavorable. Ils cherchèrent à maintenir leur pouvoir, non en faisant appel aux Écritures, mais en proférant des menaces, l’argument inlassable de Rome. Le porte-parole de la diète déclara: « Si vous ne vous rétractez pas, l’empereur et les États de l’Empire délibéreront pour déterminer quelle ligne de conduite adopter envers un hérétique incorrigible. ”GE3 121.3

    Les amis de Luther, qui avaient écouté sa noble défense avec une joie profonde, tremblèrent en entendant ces paroles. Mais le Dr Martin lui-même dit calmement : «Puisse Dieu me venir en aide, car je ne peux rien répudier 32Idem.GE3 121.4

    On lui ordonna de se retirer de la diète pendant que les princes délibéreraient. On avait le sentiment d’être arrivé à un moment de grande crise. Le refus persistant de Luther de se soumettre pouvait affecter l’Histoire de l’Église pendant des siècles. Il fut décidé de lui offrir une nouvelle occasion de se rétracter. Il fut amené pour la dernière fois devant l’assemblée. De nouveau la question lui fut posée : renoncerait-il à ses doctrines? «Je n’ai pas d’autre réponse à donner, dit-il, que celle que j’ai déjà donnée.” Il était évident que rien ne pourrait l’amener, ni promesses, ni menaces, à se soumettre aux ordres de Rome.GE3 121.5

    Les chefs de l’Église furent chagrinés qu’un humble moine méprise ainsi leur pouvoir, qui avait fait trembler des rois et des nobles; ils étaient impatients de lui faire éprouver les effets de leur colère en le mettant à mort au milieu des tortures. Mais Luther, comprenant le danger qu’il courait, avait parlé à tous avec la dignité et le calme qui conviennent à un chrétien. Ses paroles avaient été exemptes d’orgueil, d’animosité et de fausses prétentions. Il n’avait pas regardé à lui-même, ni aux grands hommes qui l’entouraient, mais avait seulement eu le sentiment de se tenir en présence d’un Être infiniment supérieur aux papes, aux prélats, aux rois et aux empereurs. C’est le Christ qui avait parlé au travers du témoignage de Luther avec une puissance et une noblesse qui, pendant un moment, avaient rempli de crainte et d’admiration aussi bien ses amis que ses ennemis. L’Esprit de Dieu avait été présent dans cette assemblée, impressionnant le cœur des dirigeants de l’Empire. Plusieurs des princes reconnurent courageusement la justice de la cause de Luther. Beaucoup furent convaincus de la vérité. Mais, pour certains d’entre eux, les impressions reçues ne durèrent pas. D’autres n’exprimèrent pas leurs convictions à ce moment, mais, ayant sondé les Écritures, devinrent plus tard de courageux soutiens de la Réforme.GE3 121.6

    L’électeur Frédéric de Saxe avait attendu avec anxiété la comparution de Luther devant la diète et avait écouté son discours avec une profonde émotion. Avec joie et fierté, il avait été témoin du courage, de la fermeté et de la maîtrise de soi du Dr Martin, et avait résolu de prendre sa défense avec encore plus de ténacité. Il avait vu le contraste entre les parties en présence et s’était rendu compte que la sagesse des papes, des rois et des prélats avait été anéantie par la puissance de la vérité. La papauté avait essuyé une défaite qui allait avoir des retentissements dans toutes les nations et au cours des siècles à venir.GE3 122.1

    Le légat, conscient de l’impression produite par le discours de Luther, craignit, comme jamais auparavant, pour la sécurité du pouvoir romain, et résolut d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour assurer la défaite du réformateur. Avec toute l’éloquence et toute l’habileté diplomatique pour lesquelles il était si éminemment distingué, il fit valoir au jeune Empereur la folie et le danger que ce serait de sacrifier, pour la cause d’un moine insignifiant, l’amitié et le soutien du puissant Saint-Siège romain.GE3 122.2

    Ses paroles ne restèrent pas sans effet. Le lendemain de la réponse de Luther, Charles Quint fit présenter un message à la diète, annonçant sa détermination de poursuivre la politique de ses prédécesseurs : maintenir et protéger la religion catholique. Puisque Luther avait refusé de renoncer à ses erreurs, les mesures les plus énergiques devaient être employées contre lui et contre les hérésies qu’il enseignait. « Un seul moine, dévoyé par sa propre folie, s’est dressé contre la foi de la chrétienté. Pour mettre un terme à une telle impiété, je sacrifierai mes royaumes, mes trésors, mes amis, mon corps, mon sang, mon âme et ma vie. Je vais congédier le moine augustin Luther en lui interdisant de causer le moindre désordre parmi les gens du peuple; j’entamerai ensuite une procédure contre lui et contre ses partisans en tant qu’hérétiques rebelles, par l’excommunication, par l’interdit, et par tout moyen destiné à les détruire. J’invite les membres des États à se comporter en fidèles chrétiens 33J. H. Merle d’Aubigné, ibid., chapitre 9.... » Cependant, l’empereur déclara que le sauf-conduit de Luther devait être respecté, et qu’avant d’entamer une procédure contre lui, on devait lui permettre de rentrer chez lui en toute sécurité.GE3 122.3

    Les membres de la diète étaient partagés entre deux solutions contradictoires. Les émissaires et les représentants du pape exigèrent de nouveau qu’on ne tienne pas compte du sauf-conduit du réformateur. « C’est le Rhin, dirent-ils, qui doit recevoir ses cendres, comme il a reçu celles de Jean Hus il y a un siècle 34Idem.. » Mais des princes allemands, quoique eux-mêmes papistes et ennemis avérés de Luther, protestèrent contre une telle transgression de la parole donnée publiquement, qui aurait constitué une tache sur l’honneur de la nation. Ils rappelèrent les cala- mités qui avaient suivi la mort de Jean Hus et déclarèrent qu’ils n’osaient pas attirer sur l’Allemagne et sur la tête de leur jeune empereur une répétition de ces terribles fléaux.GE3 122.4

    Charles Quint lui-même, en réponse à cette vile proposition, déclara: « Même si l’honneur et la foi étaient bannis du monde entier, ils devraient pouvoir trouver refuge dans le cœur des princes 35Idem.. » Les plus intraitables des papistes ennemis de Luther tentèrent encore d’amener l’empereur à traiter ce dernier comme Sigismond avait traité Jean Hus, en l’abandonnant à la miséricorde de l’Église ; mais, se souvenant de la scène au cours de laquelle Jean Hus, devant toute l’assemblée, avait montré ses chaînes et rappelé au monarque sa parole donnée, Charles Quint déclara : « Je ne voudrais pas avoir à rougir comme Sigismond 36Jacques Lenfant, History of the Council of Constance [Histoire du Concile de Constance], volume 1, p. 422. ».GE3 123.1

    Cependant, le jeune empereur avait délibérément rejeté les vérités présentées par Luther. « Je suis fermement résolu à suivre l’exemple de mes ancêtres 37J. H. Merle d’Aubigné, ibid., chapitre 9. ”, écrivit le monarque. Il avait décidé qu’il ne sortirait pas du chemin de la coutume, même pour marcher dans celui de la vérité et de la justice. Parce que ses pères l’avaient fait avant lui, il voulait soutenir la papauté, avec toute sa cruauté et toute sa corruption. C’est ainsi qu’il prit position, refusant d’accepter plus de lumière que ses pères avaient reçu ou de se soumettre à des devoirs qu’ils n’avaient pas connus.GE3 123.2

    Il y a aujourd’hui beaucoup de personnes qui se cramponnent, elles aussi, aux coutumes et aux traditions de leurs pères. Lorsque le Seigneur leur envoie de nouvelles lumières, elles refusent de les accepter, parce que, leurs pères ne les ayant pas reçues, elles ne veulent pas non plus les recevoir. Nous ne vivons pas à la même époque que nos pères. Il s’ensuit que nos devoirs et nos responsabilités sont différents des leurs. Suivre l’exemple de nos pères pour déterminer notre devoir au lieu de sonder la Parole de vérité par nous-mêmes ne nous donnera pas l’approbation de Dieu. Notre responsabilité est plus grande que celle de nos ancêtres. Nous devrons rendre compte des lumières qu’ils ont reçues et qu’ils nous ont transmises en héritage, mais aussi des nouvelles lumières, émanant de la Parole de Dieu, qui brillent maintenant sur nous.GE3 123.3

    Le Christ déclara au sujet des Juifs incrédules: « Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché. Maintenant ils n’ont pas d’excuse pour leur péché 38Jean 15.22.. » La même puissance divine avait parlé par l’intermédiaire de Luther à l’empereur et aux princes allemands. Et, pendant que brillait cette lumière émanant de la Parole de Dieu, le Saint-Esprit avait plaidé pour la dernière fois auprès de nombreuses personnes de cette assemblée. Comme Pilate qui, des siècles auparavant, avait permis à l’orgueil et à l’amour de la popularité de fermer son cœur au Rédempteur du monde ; comme Félix qui avait supplié en tremblant le messager de la vérité en ces termes : « Pour le moment, va-t-en ; quand j’en trouverai le temps, je te rappellerai 39Actes 24.25.» ; comme le fier Agrippa qui avait avoué : « Encore un peu, tu m’auras persuadé, tu auras fait de moi un chrétien 40Actes 26.28. ! » — et pourtant s’était détourné du message venu du ciel — de même, Charles Quint, cédant aux impératifs de l’orgueil et de la politique du monde, avait décidé de rejeter la lumière de la vérité.GE3 123.4

    Des rumeurs de ce qui se tramait contre Luther se répandirent largement, produisant un profond émoi dans la ville. Le réformateur s’y était fait de nombreux amis, qui, connaissant la cruauté et la traîtrise de Rome envers tous ceux qui osaient exposer sa corruption, résolurent qu’il ne devait pas être sacrifié. Des centaines de nobles s’engagèrent à le protéger. Plusieurs d’entre eux dénoncèrent le message royal comme inspiré par une lâche soumission au pouvoir dominant de Rome. Sur les portes des maisons et sur les places publiques, des écriteaux furent apposés, certains condamnant Luther et d’autres le soutenant. L’un d’eux citait simplement les paroles significatives du sage: « Malheureux es-tu, pays dont le roi est un jeune homme 41Ecclésiaste 10.16.. » L’enthousiasme populaire en faveur de Luther dans toute l’Allemagne convainquit à la fois l’empereur et les membres de la diète que toute injustice perpétrée à son égard mettrait en danger la paix de l’Empire, et même la stabilité du trône.GE3 124.1

    Frédéric de Saxe maintint une réserve délibérée. Dissimulant soigneusement ses véritables sentiments envers le réformateur, il veillait sur lui avec une vigilance infatigable en observant tous ses mouvements, ainsi que ceux de ses ennemis. Mais beaucoup ne cachaient pas leur sympathie pour Luther. Des princes, des comtes, des barons et autres personnages distingués, aussi bien ecclésiastiques que membres laïques, lui rendirent visite. « La petite chambre du Docteur Martin, écrivit Spalatin, ne pouvait pas contenir tous les visiteurs qui se présentaient 42Martyn,ibid., p. 404..” La population le considérait comme un être surhumain. Même ceux qui n’ajoutaient pas foi à ses doctrines ne pouvaient qu’admirer la haute intégrité qui l’amenait à braver la mort plutôt que de violer sa conscience.GE3 124.2

    De sérieux efforts furent déployés pour amener Luther à accepter un compromis avec Rome. Des nobles et des princes lui firent valoir que, s’il persistait à placer son propre jugement au-dessus de celui de l’Église et des conciles, il ne tarderait pas à être banni de l’Empire et n’aurait personne pour le défendre. À cet appel, Luther répondit: «L’Évangile du Christ ne peut être prêché sans causer d’offense. [...] Pourquoi la crainte ou l’appréhension du danger me séparerait-elle du Seigneur et de cette Parole divine qui, seule, est la vérité? Non! Plutôt renoncer à mon corps, à mon sang et à ma vie 43J. H. Merle d’Aubigné, ibid., chapitre 10. ! ”GE3 124.3

    On l’exhorta de nouveau à se soumettre au jugement de l’empereur, arguant qu’il n’aurait ensuite plus rien à craindre. «Je consens de tout mon cœur, dit-il dans sa réponse, à ce que l’empereur, les princes et même le plus humble chrétien examinent et jugent mes œuvres; mais à une condition: c’est qu’ils prennent la Parole de Dieu comme pierre de touche. Les hommes n’ont pas autre chose à faire qu’à lui obéir. Ne violentez pas ma conscience, qui est liée et enchaînée aux Saintes Écritures 44Idem. »GE3 124.4

    À un autre appel, il répondit: «Je consens à renoncer à mon sauf-conduit. Je remets ma personne et ma vie entre les mains de l’empereur; mais la Parole de Dieu, jamais 45Idem. ! » Il exprima sa disposition à se soumettre à la décision d’un concile général, seulement à la condition que l’on demande à ce concile de trancher d’après les Écritures. « En ce qui concerne la Parole de Dieu et la foi, ajouta-t-il, tout chrétien est aussi bon juge que le pape, même si ce dernier était soutenu par un million de conciles 46Martyn, ibid, p. 410.. » Ainsi ses amis et ses ennemis se convainquirent, finalement, que tout autre effort pour obtenir une réconciliation serait inutile.GE3 124.5

    Si le réformateur avait cédé sur un seul point, Satan et ses armées auraient remporté la victoire. Mais la fermeté inébranlable de Luther fut le moyen d’émanciper l’Église et d’inaugurer une ère nouvelle et meilleure. L’influence de cet homme seul, qui osa penser et agir par lui-même en matière de foi, allait affecter l’Église et le monde non seulement à son époque, mais aussi dans toutes les générations à venir. Sa fermeté et sa fidélité allaient fortifier tous ceux qui, jusqu’à la fin des temps, allaient passer par une expérience analogue. La puissance et la majesté de Dieu se manifestèrent au-dessus du conseil des hommes, au-dessus de la grande puissance de Satan.GE3 125.1

    Luther reçut bientôt l’ordre, par l’autorité de l’empereur, de rentrer chez lui. Il savait que cet ordre serait rapidement suivi de sa condamnation. Des nuages menaçants planaient sur son chemin ; mais, lorsqu’il quitta Worms, son cœur était rempli de joie et de louange. « Le diable lui-même, dit-il, gardait la citadelle du pape; mais le Christ y a pratiqué une large brèche, et Satan a été forcé de reconnaître que le Seigneur est plus puissant que lui 47J. H. Merle d’Aubigné, ibid., chapitre 11.. »GE3 125.2

    Après son départ, désireux que sa ténacité ne soit pas prise pour de la rébellion, Luther écrivit à l’empereur: « Dieu, qui sonde les cœurs, dit-il, est témoin que je suis disposé à obéir avec empressement à votre majesté, dans l’honneur ou dans le déshonneur, dans la vie ou dans la mort, ceci sans exception, sauf en ce qui concerne la Parole de Dieu, par laquelle nous vivons. Dans toutes les affaires de cette présente vie, ma fidélité sera inébranlable; car, dans ce domaine, perdre ou gagner n’a pas de conséquence sur le salut. Mais lorsqu’il s’agit d’intérêts éternels, Dieu ne veut pas que l’homme se soumette à l’homme; car une telle soumission en matière spirituelle est un véritable culte, qui ne doit être rendu qu’à notre Créateur 48Idem.. ”GE3 125.3

    Pendant le voyage qui le ramenait de Worms, Luther fut accueilli de manière encore plus flatteuse qu’à l’aller. Des ecclésiastiques de haut rang accueillirent le moine excommunié, et des dirigeants civils honorèrent cet homme dénoncé par l’empereur. On lui demanda de prêcher, et, malgré l’interdiction de l’empereur, il monta de nouveau en chaire. «Je ne me suis jamais engagé à enchaîner la Parole de Dieu, dit-il, et je n’ai pas l’intention de le faire 49Martyn, ibid., p. 420.. »GE3 125.4

    Il n’était pas revenu de Worms depuis longtemps lorsque les papistes réussirent à obtenir de l’empereur un édit contre lui. Dans ce décret, Luther était dénoncé comme « Satan en personne sous forme humaine et revêtu d’un froc de moine 50J. H. Merle d’Aubigné,ibid., chapitre 11. » On ordonna que, dès l’expiration de son sauf-conduit, des mesures soient prises pour mettre fin à ses travaux. Il fut interdit à toute personne de le recevoir, de lui donner à manger ou à boire, de lui prêter assistance ou d’être son complice en parole ou en acte, en public ou en privé. On devait se saisir de lui où qu’il se trouve, le livrer aux autorités, emprisonner aussi ses adhérents et confisquer leurs biens, et détruire également ses écrits. Enfin, tous ceux qui oseraient agir contrairement à ce décret étaient inclus dans cette condamnation. L’électeur de Saxe et les princes les plus favorables à Luther avaient quitté Worms peu de temps après son départ, et le décret de l’empereur avait reçu la sanction de la diète. Maintenant, les partisans de l’Église de Rome jubilaient. Ils considéraient comme scellé le sort de la Réforme.GE3 125.5

    Mais Dieu avait prévu un chemin de repli pour son serviteur en cette heure de danger. Un oeil vigilant avait suivi les mouvements de Luther; un cœur fidèle et noble avait résolu de lui porter secours. Il était évident que Rome ne se satisferait que de sa mort; ce n’était donc qu’en le cachant qu’on pourrait le sauver de la gueule du lion. Dieu accorda à Frédéric de Saxe la sagesse de concevoir un plan pour sauver la vie du réformateur. Avec la collaboration d’amis fidèles, le plan de l’électeur fut exécuté, et Luther se trouva effectivement caché à ses amis et à ses ennemis. Au cours de son voyage de retour, il fut saisi, séparé de ses compagnons de route et emmené en hâte, à travers la forêt, au château de Wartburg, une forteresse isolée dans la montagne. Sa capture et sa cachette furent si bien entourées de mystère que Frédéric lui-même, pendant longtemps, ne savait pas où on l’avait conduit. Cette ignorance n’était pas fortuite: tant que l’électeur ne sut pas où se trouvait Luther, il ne pourrait rien révéler. Il lui suffisait de savoir que le réformateur était en sécurité.GE3 126.1

    Le printemps, l’été et l’automne passèrent; l’hiver arriva. Luther était toujours prisonnier. Aleander et ses partisans exultaient en pensant que la lumière de l’Évangile était sur le point de s’éteindre. Mais, au lieu de cela, le réformateur alimentait sa lampe à la source de la vérité, et sa lumière allait briller avec un éclat encore plus grand.GE3 126.2

    Dans la sécurité amicale de la Wartburg, Luther, pendant quelque temps, se réjouit de pouvoir échapper à l’ardeur et au tumulte de la bataille. Mais il ne put se satisfaire longtemps de la tranquillité et du repos. Habitué à une vie active et à de sévères conflits, il pouvait difficilement supporter de demeurer inactif. Au cours de ces journées solitaires, la condition de l’Église lui apparut, et il s’écria avec désespoir: «Hélas! Il n’y a personne, dans ces derniers jours de la colère de Dieu, pour se tenir comme un mur devant le Seigneur et sauver GE3 126.3

    Israël 51J. H. Merle d’Aubigné, op. cit., livre 9, chapitre 2.!” De nouveau, ses pensées se tournèrent vers lui-même, et il craignit d’être accusé de lâcheté s’il se retirait du combat. Puis, il se reprocha son indolence et son amour du confort. Pourtant, il accomplissait chaque jour plus que ce qui semblait possible pour un seul homme. Sa plume n’était jamais au repos. Ses ennemis, qui s’étaient imaginé qu’il avait été réduit au silence, furent étonnés et confus de découvrir des preuves tangibles de son activité : des quantités de traités, provenant de sa plume, étaient diffusés dans toute l’Allemagne. Il accomplissait aussi une œuvre de la plus haute importance en faveur de ses concitoyens en traduisant le Nouveau Testament en allemand. Depuis son rocher de Patmos, il continua pendant presque une année entière à proclamer l’Évangile et à dénoncer les péchés et les erreurs de son temps.GE3 126.4

    Cependant, ce n’était pas seulement pour préserver Luther de la colère de ses ennemis, ni même pour lui octroyer un moment de tranquillité afin de réaliser ces importants travaux que Dieu avait retiré son serviteur de la scène de la vie publique. Il avait en vue quelque chose d’encore plus précieux pour lui. Dans la solitude et l’obscurité de sa retraite montagnarde, Luther était éloigné de tout soutien terrestre et à l’abri de toute louange humaine. Il fut ainsi sauvé de l’orgueil et de la confiance en soi-même qui sont si souvent la rançon du succès. Cette souffrance et cette humiliation le préparèrent à marcher de nouveau en sécurité sur les hauteurs vertigineuses auxquelles il avait été si soudainement élevé.GE3 126.5

    Lorsque les hommes se réjouissent de la liberté que leur apporte la vérité, ils ont tendance à exalter ceux que Dieu a utilisés pour briser les chaînes de l’erreur et de la superstition. Satan s’efforce de détourner leurs pensées et leurs affections de Dieu pour les fixer sur des intermédiaires humains. Il les amène à honorer ceux qui n’ont été que de simples instruments et à ignorer la main qui dirige tous les desseins de la providence. Trop souvent, les chefs religieux qu’on a ainsi loués et révérés perdent de vue leur dépendance envers Dieu et sont amenés à se confier en eux-mêmes. Il en résulte qu’ils cherchent à dominer l’esprit et la conscience du peuple, qui est disposé à les considérer comme des guides au lieu de se référer à la Parole de Dieu. L’œuvre de réforme est souvent retardée à cause de ce comportement toléré par ses partisans. Dieu désirait préserver la cause de la Réforme de ce danger. Il désirait que cette œuvre porte non l’empreinte de l’homme, mais la sienne. Les yeux des hommes s’étaient tournés vers Luther en tant qu’interprète de la vérité; il fut mis de côté pour que tous puissent tourner leur regard vers l’éternel Auteur de la vérité.GE3 127.1

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