Le don de prophétie au cours de la Réforme : la perspective adventiste
Avant de conclure ce chapitre, il convient de faire un bref commentaire sur la position adventiste historique concernant ce que nous avons vu jusqu’à présent. En 1936, l’ancien président de la Conférence générale, A. G. Daniells, publia un livre intitulé The Abiding Gift of Prophecy dans lequel il étudiait la manifestation du don de prophétie dans l’Église, et ce, de façon continue jusqu’à Ellen White. Ses arguments et son interprétation ont été le fondement de l’approche adventiste à ce sujet pendant des années, mais ces arguments posent désormais des problèmes d’interprétation.DDP 274.2
Le titre de cet ouvrage en dit long sur son contenu. Daniells traita la question de la continuité du don de prophétie et tenta de montrer ou de donner suffisamment d’éléments pour insister sur le fait que «ce don de prophétie [...] devait demeurer dans l’Église depuis Adam jusqu’au retour du Christ ». Il déclara aussi : «Il n’a pas pris fin avec les apôtres, mais on constate qu’il s’est manifesté au fil des siècles et il en sera ainsi jusqu’aux derniers jours de l’histoire de l’humanité, juste avant le retour de notre Seigneur .»DDP 275.1
Dans l’introduction de ce livre, LeRoy Froom va dans ce sens et ajoute que «le don de prophétie s’est manifesté dans la véritable Église de Dieu de tout temps et sous toutes les dispensations ». Ce don est la caractéristique de «l’Église du reste qui s’inscrit dans la lignée de la Réforme du XVIe siècle, et il [ce don] restaure la plénitude de la foi et des pratiques apostoliques .» Ainsi, pour Daniells, «nous sommes inévitablement amenés à conclure que le don de prophétie a été voulu par Dieu pour le bien de notre monde, et pour tous les temps. Il est présent dans l’Église aujourd’hui, tout autant que par le passé, et nous en avons un besoin crucial ».DDP 275.2
La pensée de Daniells sur la continuité du don de prophétie entre dans le cadre d’une interprétation adventiste importante de l’histoire. Comme Ellen White l’avait déjà déclaré dans son livre La Tragédie des Siècles, Daniells et d’autres croyaient que Dieu avait spécifiquement appelé l’Église adventiste du septième jour à la fin des temps pour accomplir une mission particulière en vue du retour de Jésus . Cependant, quand Daniells met en avant la continuité du don de prophétie au fil des siècles entre les débuts de l’Église primitive et son époque, la définition qu’il utilise pour définir ce don pose problème. Manifestement, il n’utilise pas toujours la même définition du don de prophétie et, sans le vouloir, il brouille le sens de l’inspiration divine en raison de son approche de ce don spirituel. Parfois, ce don fait référence aux visions et aux rêves surnaturels ; parfois, c’est une lumière spirituelle permettant d’expliquer la Parole de Dieu ; et dans d’autres cas, c’est un vif désir d’être fidèle à la Parole de Dieu. Daniells affirme presque que tout mouvement s’opposant à la papauté aux débuts du Moyen Âge est un mouvement prophétique et possède donc le don de prophétie. Ou il entrevoit du moins la possibilité que le don de prophétie ait été présent dans ces mouvements . Ces définitions ne correspondent pas à la définition que donne aujourd’hui l’Église adventiste du don de prophétie tel qu’il a été reçu et défini par Ellen White. Ainsi, nous pouvons nous interroger sur les preuves historiques de l’existence d’un don de prophétie similaire à celui d’Ellen White. Pourtant, étonnamment, Daniells reconnaît la faiblesse de son argumentation :DDP 275.3
«Tout en ayant la conviction que le don de prophétie devait se manifester de façon continue jusqu’à la fin de la dispensation de l’Évangile, conformément à la volonté divine, nous pensons qu’il ne nous revient pas d’établir l’authenticité de l’appel de tel ou tel individu, ou de tel ministère dans ce bref traité. Nous avons des témoignages historiques datant du IVe siècle jusqu’au VIIIe siècle qui semblent assez convaincants dans un certain nombre de cas. Mais nous considérons qu’il ne serait pas sage de citer des noms posant un certain nombre de questions légitimes, ce qui nuirait à l’objectif que nous voulons atteindre.DDP 276.1
Nous nous contenterons donc, en ce cas précis, de réaffirmer premièrement notre conviction selon laquelle le ciel a fait luire sa lumière tout au long de cette période de ténèbres, non seulement grâce aux Écritures ellesmêmes, mais également par le biais de porte-parole choisis par Dieu qui désiraient communiquer avec les hommes grâce au don de prophétie. Deuxièmement, nous voulons présenter des témoignages ayant un caractère général afin de justifier cette conviction »DDP 276.2
Pour Daniells, le don de prophétie se manifestait dans la vie de gens fidèles à Dieu qui étudiaient la Bible et comprenaient son véritable message, qui dénonçaient les erreurs et suivaient la lumière qu’ils découvraient. Ces personnes fidèles rendaient témoignage de la lumière de la Parole de Dieu. Ainsi, il associa le concept de messager prophétique de Dieu (comme les prophètes de l’Ancien Testament ou Ellen White) et celui de témoignage de la vérité telle qu’elle était déjà révélée par un prophète cherchant à réformer l’Église. Selon lui, tous les précurseurs de la Réforme protestante telle que l’Église évangélique vaudoise, Wycliff, Hus et Jérôme, avaient le don de prophétie . Il considérait aussi les responsables de ces mouvements de réforme comme des «responsables inspirés ».DDP 276.3
La distinction que fait Daniells entre les responsables «inspirés» et les interprètes fidèles de l’Écriture vient de Luther. En fait, beaucoup de théologiens et de biographes de la vie de Luther lui attribuent cette expression. Luther et Calvin comprenaient le don de prophétie dont il est question dans 1 Corinthiens 14 comme l’interprétation fidèle de la Parole de Dieu au sein de l’Église, un ministère que Luther et Calvin accomplirent avec beaucoup de courage et de détermination .DDP 277.1
Quelle position devons-nous adopter concernant le manque de preuves et d’arguments au sujet de la continuité du don de prophétie au cours des siècles qui s’écoulèrent entre l’Église primitive et Ellen White ? Le fait que Daniells ait adopté plusieurs définitions du don de prophétie et donné un sens large à ce don lui permit de trouver des signes de la présence, de l’action et de l’inspiration de témoins fidèles au cours des périodes de la Réforme ainsi que celles qui la précédèrent et la suivirent.DDP 277.2
Au fil des années, les commentateurs - suivant l’interprétation des réformateurs magistériels - ont accepté une définition plus large du don de prophétie dans leur interprétation de 1 Corinthiens 12 et 14. Pour résumer, ils considèrent le don de prophétie comme un «éclairage» inspiré du sens de l’Écriture, comme c’est le cas dans le cadre du ministère des prédicateurs et des partisans d’un réveil, ou comme une exhortation pour certains croyants dans un contexte particulier. Cette définition correspond à la façon dont Daniells parle du don de prophétie dans son livre, mais il ne s’agit pas de la même sorte de don de prophétie que les adventistes voient chez Ellen White comme l’accomplissement du témoignage de Jésus à la fin des temps.DDP 277.3
Les adventistes font généralement une distinction claire entre l’éclairage que reçoit un pasteur de la part du Saint-Esprit lors de la préparation d’une prédication, ce qui correspond à un discernement particulier concernant l’interprétation de l’Écriture, et l’inspiration divine d’un prophète ou d’Ellen White . Bien que le Saint-Esprit soit à l’œuvre dans les deux cas, l’éclairage divin et l’inspiration sont deux dons différents, accordés pour des buts différents.DDP 278.1
Les exemples de la manifestation du don de prophétie que donne Daniells sont insuffisants. Ils justifient l’idée de la possibilité d’une manifestation du don de prophétie au fil des siècles, mais ce ne sont pas des preuves tangibles. Ainsi, une question demeure : Le don de prophétie se manifeste-t-il réellement de façon constante ? Les réformateurs ne le pensaient pas.DDP 278.2