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Don De Prophétie: Une Réflexion Biblique Et Historique

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    Allusions littéraires

    Cette partie montre de quelle façon certaines expressions et images utilisées dans les oracles prophétiques peuvent évoquer les termes de la propagande royale du Proche-Orient, les traités et les textes ougaritiques.DDP 144.2

    La propagande royale

    Le texte d’Ésaïe 1.7 annonçait la destruction du pays en utilisant un langage similaire au langage employé dans les annales royales du Proche-Orient ancien : Votre pays est dévasté, vos villes sont incendiées, des étrangers dévorent votre terre devant vous. C’est une dévastation comme une destruction d’étrangers372Les passages bibliques sont tirés de la Nouvelle Bible Segond.. Bien qu’il y ait d’autres annonces de destruction dans l’Ancien Testament, la séquence des lemmes - dévasté, incendiées, dévorent - ne se retrouve que dans ce texte. Étonnamment, une phraséologie similaire apparaît dans des inscriptions royales assyriennes 373Voir Peter Machinist, «Assyria and Its Image in the First Isaiah», Journal of the American Oriental Society 103, n° 4 (1983), pp. 719737 ; Shalom M. Paul, «Deutero-Isaiah and Cuneiform Royal Inscriptions», Journal of the American Oriental Society 88, n° 1 (1968), pp. 180-186. de Tiglath Piléser I (1114 - 1076 av. J.-C.) à Sargon II (721 - 705 av. J.-C.) Un exemple particulier trouvé dans les annales d’Assurnasirpal II (883 - 859 av. J.-C.) dans lesquelles le roi se réjouit de la destruction de Kaprabi mérite notre attention : «J’ai détruit la ville, je l’ai incendiée, et je l’ai consumée 374L. W. King et E. A. Wallis Budge, Annals of the Kings of Assyria (British Museum, Department of Egyptian and Assyrian Antiquities, 1902), p. 362, par. 54, accessible sur le site : www.lib.uchicago.edu/cgi-bin/eos/eos_page.pl?DPI=100&callnum=PJ3835.B85_cop2&ident=i..» Il convient de noter que la séquence des mots employés ressemble à celle d’Ésaïe 1.7 375Machinist, p. 724..DDP 144.3

    De la même façon, Ésaïe cite le roi assyrien pour préciser le but de sa conquête : J’ai bousculé les frontières des peuples, je les ai dépouillés de leurs trésors. (Ésaïe 10.13) Certes, ce type de phrase apparaît dans d’autres passages de l’Ancien Testament. Cependant, dans tous les autres cas, il s’agit d’une allusion au texte de Deutéronome 19.14 (voir Ésaïe 27.17) qui interdit aux individus d’étendre leurs terres en repoussant les bornes de leurs voisins. Seul le texte d’Ésaïe 10.13 évoque l’expansion territoriale d’un empire. Ainsi, il semble raisonnable de supposer qu’Ésaïe connaissait des expressions telles que celle-ci, qui provient d’une inscription de Tiglath-Pileser III (745-727 av. J.-C.) : «J’ai dévasté (littéralement «déchiré») Sarrabani (et) Bît Sa’alli jusqu’à leurs limites les plus lointaines. [...] J’ai amené ces terres au sein du territoire assyrien 376Daniel David Luckenbill, Ancient Records od Assyria and Babylonia (Chicago : University of Chicago Press, 1926), vol. 1, p. 290.. »DDP 145.1

    Un autre passage utilise les métaphores des inondations et de la gloire suprême pour décrire le roi assyrien affrontant Juda : Voilà pourquoi le Seigneur fait monter contre eux les eaux puissantes, les grandes eaux du fleuve — le roi d’Assyrie et toute sa gloire. Partout il débordera de son lit et il s’en ira par-dessus toutes ses rives ; il balaiera Juda, il déferlera et submergera, il montera jusqu’au cou. Le déploiement de ses ailes remplira l’étendue de ton pays, Immanou-El ! (Ésaïe 8.7,8.) La métaphore de l’eau décrivant l’invasion de l’armée et le thème de la gloire du roi étranger évoquent des concepts similaires que l’on trouve dans certaines inscriptions assyriennes. Concernant l’image de l’eau, voici ce que disait Salmanasar III (858-824 av. J.-C.) : «J’ai fait survenir sur eux des eaux dévastatrices. Je les ai entassés dans des fossés (et) j’ai rempli les plaines des cadavres de leurs guerriers 377William W. Hallo et K. Lawson Younger, Context of Scripture (Boston : Brill, 2003), vol. 2, p. 262. Lors des prochaines mentions de cet ouvrage, nous indiquerons CS..» Ésaïe a rendu ces images encore plus explicites en y associant l’Euphrate, le fleuve le plus important d’Assyrie. Au sujet de la notion de gloire, plusieurs documents mentionnent la gloire et la majesté du monarque assyrien. Assurnasirpal (883-859 av. J.-C.) utilisait l’expression «roi de gloire» en parlant de lui-même. Et Salmanasar III (858-824 av. J.-C.) affirma avoir écrit sur une montagne : «La gloire de ma puissance, les triomphes (littéralement «les voies») de ma puissance 378Luckenbill, p. 42..» Ainsi, en mentionnant l’eau et la gloire pour décrire la puissance du roi assyrien, le prophète avait peut-être à l’esprit le langage et les images des inscriptions assyriennes.DDP 145.2

    Ésaïe décrit de quelle façon le roi assyrien se percevait lui-même en utilisant l’image d’un monarque se dirigeant vers l’ouest et gravissant une montagne pour couper des arbres du Liban dont le bois était très prisé. Cette description ne fait pas uniquement référence à la construction de bâtiments. En effet, le thème du «voyage héroïque» 379Voir Machinist, p. 724. évoque la puissance militaire du roi, que mentionne Ésaïe : Par l’intermédiaire de tes gens, tu as outragé le Seigneur et tu as dit : Avec la multitude de mes chars, moi, je suis monté tout en haut des montagnes, au plus profond du Liban ; je coupe les plus élevés de ses cèdres, les plus beaux de ses cyprès, et j’atteins sa dernière cime, ses plus épaisses forêts. (Ésaïe 37.24) Il faut noter qu’une inscription néo-assyrienne attribuée à Salmanasar III (858-824 av. J.-C.) comporte de nombreux points communs avec ce texte : «J’ai gravi le Mont Amanus (et) coupé des branches de cèdre (et) de genévrier. Je me suis rendu au Mont Atalur, où se trouve l’image d’Anum-hirbe. (Et) j’ai érigé mon image avec son image 380CS, vol. 2, p. 724.DDP 146.1

    Dans un autre texte, le prophète déclare au sujet de Yahweh ce que le roi assyrien disait de lui-même. Dans Ésaïe 41.19, le Seigneur promet : Je mettrai dans le désert le cèdre, l’acacia, le myrte et l’olivier ; je placerai dans la plaine aride le cyprès, l’orme et le buis, tous ensemble. Ainsi, le roi assyrien pouvait affirmer avoir la puissance d’atteindre le sommet des montagnes du Liban et de couper les arbres ; mais ce que le Seigneur affirmait pouvoir faire dépassait de loin les capacités du roi païen. Le Seigneur, le Dieu créateur pouvait faire croître des cèdres et d’autres arbres dans le désert afin que les nations comprennent ceci : ... afin qu’ils voient et qu’ils sachent, qu’ils observent et comprennent tous ensemble que c’est la main du Seigneur qui a fait tout cela, que c’est le Saint d’Israël qui l’a créé. (Ésaïe 41.20.)DDP 146.2

    Ainsi, bien que le thème du voyage héroïque fasse partie de la tradition mésopotamienne et se trouve dans d’autres passages du corpus prophétique (Habakuk 2.17), l’évocation de ce sujet dans Ésaïe, qui semble être le premier à le mentionner dans l’Ancien Testament, indique peut-être qu’il «l’avait découvert grâce à des ressources néo-assyriennes 381Machinist, p. 724.». De plus, comme nous l’avons souligné, le même thème apparaît dans Ésaïe pour souligner la puissance incomparable de Dieu qui peut faire bien plus qu’un roi païen.DDP 146.3

    Ésaïe annonça également que les nations ramèneraient les exilés en offrande [minhâ] au Seigneur, sur des chevaux, des chars et des chariots couverts, sur des mulets et des dromadaires, à ma montagne sacrée, à Jérusalem (Ésaïe 66.20). Cette liste des chevaux, des chars, des chariots, des mulets et des dromadaires qui évoque une offrande faite au Seigneur, fait écho à une autre liste dans laquelle un monarque mentionne les présents offerts par des nations étrangères. Beaucoup de ces listes viennent des Assyriens 382Voir Shalom M. Paul, «Deutero-Isaiah and Cuneiform Royal Inscriptions», Journal of the American Oriental Society 88, n° 1 (1968), p. 184., comme le montre une inscription mentionnant «les chevaux, les mulets, les chameaux de Bactriane, le bétail (et) les moutons» offerts «régulièrement» à Tiglath-Piléser III (745-727), «à un rythme annuel dans le pays de l’Assyrie 383CS, vol. 2, p. 287.». Il faut également mentionner une stèle célébrant les exploits militaires de Thoutmôsis III, qui évoque les présents apportés de Canaan au Pharaon : «Alors ce faible ennemi et les chefs qui étaient avec lui firent envoyer tous leurs enfants à notre majesté avec des dons et des présents d’or et d’argent, tous leurs chevaux, de magnifiques chariots d’or et d’argent, certains chariots qui n’étaient pas décorés, leurs armures de maille, leurs arcs, leurs flèches et toutes leurs armes de combat 384Ibid., p. 16..» Par conséquent, concernant le texte d’Ésaïe 66.20, nous pouvons suggérer que le prophète rédigea sa phrase en s’inspirant de listes de présents dans lesquelles le roi célébrait les exploits de ses campagnes militaires. Le fait d’utiliser ce style littéraire permettait de toucher le public avec une puissance rhétorique indéniable. De la même façon que les rois humains imposaient à leurs ennemis vaincus de leur offrir des présents, de la même façon, le Seigneur vaincrait ses ennemis et les forcerait à ramener les captifs dans leur pays en offrande.DDP 147.1

    L’image du lion

    L’image du lion fait partie de la propagande royale, mais mérite un paragraphe particulier, étant donné sa place dans la littérature prophétique. Il existe des similarités frappantes entre certains textes prophétiques et des documents assyriens et égyptiens (voir Ésaïe 15.9; Jérémie 2.15 ; 4.7 ; 50.17) dans lesquels le lion est une image stéréotypée. Les rois égyptiens, babyloniens et assyriens 385Willy Hartenr et Richard Ettinghausen, «The Conquering Lion, the Life Cycle of a Symbol», Oriens 17 (1964), pp. 161-171. se décrivaient souvent comme des lions et se vantaient fréquemment de pratiquer la chasse au lion, comme en témoignent les décorations de nombreux palais 386 Voir Othmar Keel, The Symbolism of the Biblical World : Ancient Near Eastern Iconography and the Book of Psalms (New York : Seabury Press, 1978), pp. 85-89. et certains documents royaux 387 Voir Brent Allen Strawn, «What is Stronger Than a Lion?» Leonine Image and Metaphor in the Old Testament and the Ancient Near East» (Ph.D diss., Princeton Theological Seminary, 2001), pp. 184-319.. Nebmaâtrê (680-669 av. J.-C.), roi de la haute et de la basse Égypte, affirmait être «le lion puissant, bien-aimé d’Amun 388 William J. Murnane et Edmund S. Meltzer, Texts From the Amarna Period in Egypt, Writings From the Ancient World, vol. 5 (Atlanta: Scholar Press, 1995), p. 217.». Assarhaddon (680-669 av. J.-C.), roi d’Assyrie, affirmait : «Je suis devenu enragé comme un lion, mes émotions étaient exacerbées. J’ai frappé dans mes mains pour pouvoir exercer la fonction de roi dans la maison de mon père 389 Martti Nissinen, Robert Kriech, C. L. Seow et Peter Machinist, Prophets and Prophecy in the Ancient Near East, Writings From the Ancient World, vol. 12 (Atlanta: Society of Biblical Literature, 2003), p. 139..» Et Assurbanipal en vint à être considéré comme un bienfaiteur de l’humanité en raison de sa capacité à tuer des lions 390 Maximilian Strecl, Assurbanipal und die letzten assyrischen konige bis zum untergange Nineveh’s (Leipzig : J. C. Hinrichs, 1916), p. 37..DDP 147.2

    Des prophètes mentionnaient habilement les lions dans leurs messages afin d’en souligner la force rhétorique. Dans certains cas, ces messages comportaient simplement une image stéréotypée du lion, qui était courante dans le Proche- Orient ancien. Cependant, dans d’autres cas, l’image du lion était une allusion très claire à certains rois du Proche-Orient décrits comme des lions puissants 391 Gordon H. Johnston, «Nahum’s Rhetorical Allusions to the Neo-Assyrian Lion Motif», Biblioteca Sacra 158, n° 631 (2001), pp. 286,307..DDP 148.1

    Il semble qu’Osée, par exemple, connaissait bien l’image du lion telle qu’elle était utilisée par les rois néo-assyriens. Dans ses déclarations adressées à Israël, le prophète décrit le Seigneur comme un lion prêt à déchirer sa proie : Car je serai comme un lion pour Ephraïm, comme un jeune lion pour la maison de Juda ; moi, moi, je déchirerai, puis je m’en irai, j’emporterai, et personne ne délivrera. Je m’en irai, je reviendrai à mon lieu, jusqu’à ce qu’ils reconnaissent leurs torts et me recherchent ; dans la détresse, ils auront recours à moi. (Osée 5.14,15.) À première vue, Osée semble simplement utiliser un langage stéréotypé pour décrire le jugement imminent de Dieu sur Israël. Cependant, le fait que Dieu utilise les Assyriens pour exécuter son jugement (voir Osée 5.13; 7.11; 8.9; 9.13; 10.6; 11.5,11; 12.1; 14.3) indique qu’Osée faisait probablement une allusion ironique à quelque chose que tout le monde savait, à savoir que les Assyriens décrivaient souvent leurs exploits militaires par l’image d’un lion attaquant sa proie. Il est intéressant de souligner que les rois assyriens évoqués par les oracles prophétiques d’Osée (Tiglath-Piléser III, Salmanasar V et Sargon II) se décrivaient comme des lions dans leurs annales royales 392Ibid, p. 295.. Avec une pointe d’ironie, le prophète annonce que le jugement sera prononcé par Dieu, le lion suprême qui «utilisera alors ces «lions» assyriens pour mettre son jugement à exécution 393Ibid.».DDP 148.2

    Le prophète Nahum utilise à plusieurs reprises l’image du lion pour annoncer la fin de l’empire assyrien :DDP 149.1

    Où en est ce repaire de lions, ce domaine des jeunes lions, que parcouraient le lion, la lionne, le petit du lion, sans qu’il y eût personne pour les troubler ? Le lion qui déchiquette une proie pour ses petits, qui étrangle pour ses lionnes remplissait de proies ses antres, de dépouilles ses repaires. Je m’oppose à toi ! — déclaration du Seigneur (YHWH) des Armées. Je réduirai ses chars en fumée. L’épée dévorera tes jeunes lions, je retrancherai ta proie du pays, et on n’entendra plus tes messagers. (Nahum 2.12-14.)DDP 149.2

    Dans cette péricope, le prophète décrit le Seigneur comme un chasseur de lions. Ironiquement, le Seigneur lui-même, le chasseur de lions par excellence, allait pourchasser les Assyriens et leur roi qui se décrivaient eux-mêmes comme des lions royaux. Le contexte historique et l’objectif du livre de Nahum suggèrent que le prophète ait pu faire des allusions délibérées à certaines inscriptions assyriennes. Il faut souligner que Nahum était très probablement contemporain d’Assurbanipal (668-627) 394Voir Robert B. Chisholm Jr., Handbook on the Prophets : Isaiah, Jeremiah, Lamentations, Ezekiel, Daniel, Minor Prophets (Grand Rapids : Baker Academic, 2002), p. 427 ; Moisés Silva and Merrill Chapin Tenney, eds., The Zondervan Encyclopedia of the Bible (Grand Rapids : Zondervan, 2009), H-L, p. 822., un roi qui se décrivait souvent comme un chasseur de lions395Voir Grant Frame et A. Kirk Grayson, «An Inscription of Ashurbanipal Mentioning the Kidinnu of Sippar», State Archives of Assyria Bulletin 8, n° 2 (1994), pp. 3-12.. De plus, le Seigneur appela Nahum à annoncer la chute de l’empire assyrien. Ainsi, il n’est pas surprenant que, pour transmettre son message de façon plus efficace, Nahum ait utilisé la propagande royale assyrienne396Voir Maximilian Streck, Assurbanipal und die Letzten assyrischen konige bis zum untergange Niniveh’s (Leipzig: J. C. Hinrichs, 1916), pp. 51-54; A. Kirk Grayson, «Assyrian Royal Inscriptions: Literary Characteristics», in Assyrian Royal Inscriptions : New Horizons, ed., F. M. Fales (Rome : Istituto per l’Orient, 1981), p. 45. de façon rhétorique pour annoncer la défaite de ceux qui se considéraient comme les plus grands chasseurs.DDP 149.3

    Dans un oracle prononcé contre l’Égypte (Ézéchiel 32.1-15), le prophète condamne le Pharaon en disant : Tu ressemblais à un jeune lion parmi les nations. (verset 2) Les termes employés montrent qu’Ézéchiel savait que l’image du lion était utilisée en Égypte pour mettre en évidence la puissance et la majesté du Pharaon. Mais Ézéchiel utilise ici cette image pour décrire la faiblesse, et non le pouvoir du Pharaon. En effet, il apparaît comme un crocodile répugnant sur le point d’être capturé et mis à mort plutôt que comme un lion majestueux prêt à dévorer sa proie : Tu ressemblais à un jeune lion parmi les nations ; tu étais comme un dragon dans les mers, tu jaillissais dans tes fleuves, tu troublais les eaux avec tes pieds, tu agitais leurs flots. Ainsi parle le Seigneur Dieu : j’étendrai sur toi mon filet, dans l’assemblée d’une multitude de peuples, et ils te tireront dans ma nasse. (versets 2 et 3) Ainsi, l’espoir de Juda concernant un éventuel soutien de l’Égypte face aux Babyloniens était sans fondement. Malgré son désir d’être un lion, le Pharaon allait être pourchassé comme un crocodile.DDP 149.4

    Les traités

    Les points communs que l’on peut observer entre les traités de malédictions des Assyriens et les annonces de jugement faites par les prophètes montrent également les liens qui existent entre la littérature prophétique et les textes du Proche-Orient. Certaines études affirment que les prophètes s’inspirèrent de ces traités de malédictions pour prononcer des paroles de jugement 397Voir George E. Mendenhall, «Covenant Forms in Israelite Tradition», Biblical Archaeologist 17 (1954), pp. 50-76 ; idem, «Covenant», in Interpreter’s Dictionary of the Bible, ed. George A. Buttrick (Nashville : Abingdon, 1986), vol. 1, p. 720 ; Riekele Borger, «Zu den Asarhaddon-Vertagen», Zeitschrift für Assyriologie 54 (1961), pp. 173-196 ; Delbert R. Hillers, Treaty-Cruses and the Old Testament Prophets (Rome : Pontifical Biblical Institute, 1964); Kevin J. Cathcarty, «Treaty-Curses and the Book of Nahum», Catholic Biblical Quarterly 35, n° 2 (1973), pp. 179-187 ; Gordon H. Johnston, «Nahum’s Rhetorical Allusions to Neo-Assyrian Treaty Curses», Bibliotheca Sacra 158, n° 632 (2001), pp. 415-436.. Les malédictions contre l’Assyrie annoncées par Nahum révèlent notamment des parallèles significatifs avec les traités néo-assyriens contenant également des malédictions. Ces documents diffèrent d’autres sources non bibliques dans la mesure où ils contiennent des malédictions longues, spécifiques, explicites et bien particulières 398 Dennis J. McCarthy, Treaty and Covenant (Rome : Biblical Institute Press, 1981), p. 67.. Les rois assyriens adressant leurs messages diplomatiques non seulement au roi mais aussi à la population (voir 2 Rois 18.26-36) 399Voir John S. Holladay, «Assyrian Statecraft and the Prophets of Israel», Harvard Theological Review 63, n° 1 (1970), pp. 29-51., on peut supposer que le prophète connaissait ces documents et ces traditions et qu’il s’en inspira intentionnellement dans le but d’exprimer son hostilité à l’ennemi assyrien. À ce propos, les parallèles suivants entre Nahum et les traités d’Esarhaddon 400D. J. Wiseman, «The Vassal-Treaties of Esarhaddon», Iraq 1 (1958), pp. 1-99. (TE) méritent notre attention 401Voir Johnston, «Nahum’s Rhetorical Allusions to Neo-Assyrian Treaty Curses», pp. 415-436. : (1) malédiction des ténèbres (Nahum 1.8 et TE 422-424); (2) destruction de la descendance et du nom (Nahum 1.14 et TE 543, 544) ; (3) destruction des chariots (Nahum 2.13 et TE 612-616) ; (4) châtiment des prostituées (Nahum 3.5-7 et TE 617) ; (5) blessure incurable et maladie mortelle (Nahum 3.19 et TE 472-477); (6) inondations (Nahum 1.8 et TE 442); (7) assèchement des sources d’eau (Nahum 1.4 et TE 440, 441) ; (8) changement de la couleur de peau (Nahum 2.10 et TE 585-587) ; (9) impossibilité de parler (Nahum 2.13 et TE 437-439) ; (10) vengeance (Nahum 1.3 et TE 576, 577, 582-584). De plus, la malédiction selon laquelle les guerriers agiraient comme des femmes craintives (Nahum 3.13) et la malédiction des criquets (versets 15-17), bien qu’absentes du traité d’Esarhaddon, sont attestées dans d’autres documents de l’époque néo-assyrienne 402Concernant les guerriers agissant comme des femmes craintives, voir Hillers, pp. 66-68 ; concernant la malédiction des criquets, voir Joseph A. Fitzmyer, The Aramaic Inscriptions of Sefire : Commentary (Rome : Pontificio Istituto Biblico, 1995), p. 45 (IA, pp. 27-32)..DDP 150.1

    Une question se pose : Nahum fit-il consciemment allusion à des sources non bibliques, ou employa-t-il le langage et les images de la littérature du Proche- Orient sans prendre en compte certains documents ou certaines traditions en particulier? On ne peut répondre à cette question avec certitude, mais plusieurs éléments semblent montrer que Nahum fit délibérément allusion à ces malédictions afin de produire un effet rhétorique. Tout d’abord, il convient de souligner que le genre littéraire employé est similaire, dans la mesure où les parallèles entre Nahum et les documents non bibliques concernent des malédictions 403Voir Johnston, «Nahum’s Rhetorical Allusions to Neo-Assyrian Treaty Curses », p. 434.. Deuxièmement, même si tous les thèmes pris séparément peuvent avoir des points communs avec d’autres documents du Proche- Orient, le nombre de parallèles entre Nahum et les traités d’Esarhaddon est plus important qu’avec n’importe quel autre document, et cela ne peut être une coïncidence. Troisièmement, étant donné que Nahum annonça la chute de l’empire assyrien, il utilisa peut-être délibérément des images et un langage propres aux Assyriens afin d’accentuer la force rhétorique de son message, mettant l’accent sur le fait que «les malédictions prononcées par les Assyriens sur Juda seraient précisément les jugements que Yahweh prononcerait sur les Assyriens 404Ibid».DDP 151.1

    Littérature ougaritique

    On observe un parallèle significatif entre un document non biblique et le texte d’Ésaïe 27.1, une péricope décrivant le jugement eschatologique de Dieu et la victoire définitive sur les forces du mal : «En ce jour-là, le Seigneur fera rendre des comptes, avec son épée acérée, grande et puissante, à Léviathan [liwyātān], le serpent fuyard [bāriah], à Léviathan [liwyâtân], le serpent tortueux [‘qltn], et il tuera le dragon qui est dans la mer.» Dans le cadre de ce chapitre, il n’est pas possible d’étudier ce verset en détail, mais nous voulons mettre en évidence les parallèles avec un texte ougaritique dans lequel Mot mentionne une victoire antérieure de Baal sur Litan (ou Léviathan) 405Voir James Todd Hibbard, «Intertextuality in Isaiah 24-27 : The Reuse and Evocation of Earlier Texts and Traditions» (Ph. D. diss., University of Notre Dame, 2003), p. 237.. Le texte ougaritique dit ceci : «Quand tu as tué Litan (ltn), le serpent fuyard (brh), tu as annihilé le serpent tortueux ([‘qltn), le potentat à sept têtes 406Mark S. Smith et Simon B. Parker, Ugaritic Narrative Poetry, Writings From the Ancient World, vol. 9 (Atlanta: Scholar Press, 1997), p. 141 (KTU 1.5 I 1-4).. »DDP 151.2

    Ces deux textes emploient un vocabulaire si spécifique que le passage d’Ésaïe semble être une «citation virtuelle» du texte ougaritique. Cependant, il ne peut être question d’un emprunt littéraire, étant donné l’intervalle de temps séparant le texte ougaritique (vers 1400-1200 av. J.-C.) et le passage d’Ésaïe (vers 850 av. J.-C.). Mais les points communs méritent une explication qui sera développée dans la dernière partie de cette étude. Cependant, on peut déjà affirmer que le prophète connaissait ces images et savait que le serpent (ou Léviathan en l’occurrence) serait finalement détruit. Ainsi, le texte ougaritique exprime cette idée en des termes liés à la mythologie ou au polythéisme, alors qu’Ésaïe développe cette image dans le contexte de la religion monothéiste.DDP 152.1

    Nous pouvons prendre un dernier exemple tiré du livre d’Osée, où il apparaît que le prophète emploie des images et des expressions de la littérature ougaritique pour exprimer des avertissements concernant l’apostasie du peuple de Dieu qui s’était notamment tourné vers Baal et adorait ce dieu païen (voir Osée 2.8 ; 13.1). En effet, Osée mentionne la mort et la résurrection d’Israël d’une façon qui rappelle ce que l’on sait de Baal grâce aux textes ougaritiques. Étudions quelques passages : Il nous rendra la vie dans deux jours ; le troisième jour, il nous relèvera, et nous vivrons devant lui. (Osée 6.2.) 407Pour une étude détaillée de ce texte, voir John Day, «Resurrection Imagery From Baal to the Book of Daniel», dans Congress Volume : Cambridge, 1995, ed. J. A. Emerton (Leiden : Brill, 1997), pp. 125-133. Ensuite, Osée rapporta ces paroles de Dieu : Je les libérerai du séjour des morts, je les reprendrai à la mort. Mort, où sont tes pestes ? Séjour des morts, où sont tes épidémies ? La pitié est cachée à mes regards ! (Osée 13.14.) Et le verset suivant décrit l’assèchement des sources d’eau (verset 15).DDP 152.2

    Il est frappant de noter que les images de la mort, de la résurrection et de la sécheresse évoquent la description de Baal dans les textes ougaritiques : Baal mourait, ce qui entraînait la sécheresse, et il ressuscitait chaque année au printemps. Ces images se retrouvent dans la façon dont Osée décrit le destin d’Israël. Ces points communs peuvent indiquer que le prophète employa ce langage pour dénoncer le culte de Baal. Parce que le peuple s’était tourné vers Baal, il connaîtrait la même fin que lui. Le fait que le peuple ait adopté le culte de Baal devait produire la mort au lieu de la vie, la sécheresse au lieu de la fertilité. Cependant, en dépit des péchés du peuple, Dieu avait un message d’espoir. S’il se repentait, il pourrait faire pour lui ce que Baal ne pouvait pas faire ; il le relèverait de la mort et lui donnerait une vie nouvelle.DDP 152.3

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