Citations de l’Écriture par les auteurs bibliques
Le fait que les auteurs inspirés citaient l’Écriture souligne la confiance qu’ils avaient dans sa cohérence, sa clarté et sa véracité historique (et pas seulement sa vraisemblance). Une étude approfondie de ces citations peut nous aider à comprendre les différentes méthodes d’interprétation utilisées par les auteurs bibliques. La façon dont ils utilisaient d’autres écrits inspirés peut être un exemple pour nous, tandis que nous voulons adopter une méthode fiable nous permettant de comprendre l’Écriture. On peut identifier cinq catégories concernant l’usage d’autres écrits inspirés par les auteurs bibliques : exégétique, théologique, typologique, rhétorique et prophétique. Nous étudierons ces points de plus près, les illustrant avec des exemples.DDP 128.1
Emploi exégétique
On parle d’emploi exégétique de l’Écriture quand il s’agit de citations directes qui sont interprétées de façon conforme à l’intention du passage d’origine . Ainsi, les auteurs de la Bible hébraïque ont interprété des passages antérieurs . Les auteurs du Nouveau Testament ont interprété l’Ancien Testament, faisant souvent précéder leurs citations de formules introductives telles que : «Il est écrit.» Les allusions sont plus difficiles à identifier, mais cela est tout de même possible en mettant en évidence la présence importante de mots-clefs peu employés dans un passage ultérieur et faisant référence au contexte passé. La définition d’une citation directe et d’une allusion peut être utile, tout comme il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’échos scripturaires.DDP 128.2
«Une citation présente une similarité verbale au texte massorétique ou LXX ; une allusion reprend plusieurs mots ou expressions d’un passage de l’Ancien Testament (similarité verbale) ; un écho comporte peu de parallèles verbaux, simplement un mot ou un thème. La citation et l’allusion sont conscientes, alors que l’écho n’est peut-être pas voulu par l’auteur, mais implicite dans le contexte .»DDP 128.3
Dans les Évangiles, nous constatons que Jésus cita et interpréta l’Écriture à de nombreuses reprises de façon exégétique. Dans Matthieu 19, par exemple, des Pharisiens lui demandèrent si, d’après la loi de Moïse, il était permis à un homme de répudier sa femme pour n’importe quel motif (verset 3). Selon les traditions de l’époque mentionnées dans les sources rabbiniques, nous savons que l’interprétation de la notion d’inconvenance dans Deutéronome 24.1 était un sujet controversé au Ier siècle . Dans sa réponse, Jésus mentionna à ses interlocuteurs que le contexte de l’Écriture ne devait pas être oublié, à savoir l’institution du mariage entre l’homme et la femme à la création (Matthieu 19.4-6 ; voir Genèse 2.24). Peu satisfaits de cette réponse, les Pharisiens demandèrent à Jésus pourquoi Moïse réclamait (entellōmai) «une attestation de rupture». La réponse de Jésus révèle une exégèse claire et sérieuse du texte du Deutéronome. Tout d’abord, l’approche casuistique de la loi de Moïse indiquait que le divorce était «permis» plutôt que «réclamé », et ce, seulement lorsque le mari trouvait en son épouse «quelque chose d’inconvenant». En disant ensuite que «celui qui répudie sa femme - sauf pour inconduite sexuelle - et en épouse une autre commet l’adultère », Jésus clarifie le sens du mot «inconvenant» ( ‘erwat dābār en hébreu) et indique qu’il fait allusion à l’inconduite sexuelle (porneia) DDP 129.1
L’argumentation de Jésus défendant ses disciples qui, paraît-il, travaillaient le sabbat et le transgressaient en arrachant des épis le jour du sabbat, est un autre exemple de méthode exégétique. En fait, Jésus expliqua que la dimension humaine avait la priorité sur la notion de sainteté, se basant non seulement sur le précédent établi par David en lien avec les pains sacrés du temple, mais aussi sur l’intention première du sabbat qui fut institué pour l’homme (Marc 2.27) . En soulignant que le sabbat est le seul élément de la semaine de la création établi (egeneto) après la création des êtres humains et donc fait pour eux (Genèse 2.1-3 ; voir Genèse 1.26-28), Jésus fait preuve d’une sensibilité exégétique à l’intention d’origine suggérée par le texte de la Genèse . On ne peut surestimer l’importance des paroles de Jésus qui donna un exemple à suivre en matière d’emploi de l’Écriture dans la proclamation de l’Évangile.DDP 129.2
Parmi les nombreuses références de Paul à la Bible hébraïque, son interprétation de la «descendance» (sperma, zera en hébreu) d’Abraham dans Galates 3.15,16 est souvent discutée. Paul préconise une lecture littérale de la forme grammaticale du singulier malgré le fait qu’en grec et en hébreu ces termes soient généralement au singulier collectif s’agissant de la descendance (même s’ils peuvent faire référence à un seul individu comme dans la version de la Septante de Genèse 4.25 et 1 Samuel 1.11). L’emploi ultérieur de ce mot dans un sens collectif (Galates 3.27-29 et ailleurs) montre que Paul connaît son sens habituel. Une étude approfondie du texte de Genèse 22.17 tel qu’il est cité montre que le sens du mot descendance passe de la description des nombreux descendants d’Abraham comparés aux étoiles du ciel et au sable qui est au bord de la mer à la descendance (zera) qui prendra possession des villes de ses ennemis . D’après Richard Davidson, dans le texte de Genèse 3.15, on observe la même chose, à savoir que «le sens du mot «descendance» passe d’une forme collective à un singulier messianique ». Comme nous le verrons, ce passage de l’Israël collectif à une figure messianique unique est présent dans d’autres contextes. Une interprétation messianique de la descendance promise illustre de quelle façon la venue du Christ éclaire l’exégèse de l’Ancien Testament.DDP 130.1
Même si la dimension chrétienne ne doit pas être artificiellement plaquée sur les textes antérieurs, l’exégèse ne doit pas réduire le sens du texte original au point d’exclure un sens plus profond quand ce sens apparaît déjà dans le passage antérieur et est cohérent avec le contexte large de l’Écriture. Ainsi, trois critères ont été proposés pour aider les théologiens à identifier les cas où le texte prend un sens plus large : (1) La présence de noms singuliers collectifs (tels que «descendance », «serviteur», «branche ») ; (2) le passage de pronoms ou de suffixes pronominaux du singulier au pluriel dans un passage de l’Ancien Testament (par exemple, le mot «serviteur» fait référence à Israël dans Ésaïe 44.1 et au Messie dans Ésaïe 52.13-53.12 ; référence à la monarchie et au «roi davidique par excellence, le Christ» comme on le voit dans l’alternance entre les pronoms singulier et pluriel dans Amos 9.11,12) ; et enfin (3) une analogie manifeste de l’Écriture avec un principe théologique antérieur (par exemple «la descendance de la femme» dans Genèse 3.15 emploie déjà ce terme dans un sens quasiment technique).DDP 130.2
La méthode exégétique semble aussi être employée par Paul dans sa citation d’Ésaïe 54.1 dans Galates 4.27, malgré son emploi souvent cité d’allëgoreô au verset 24 . L’apôtre reconnaît que le passage d’Ésaïe, en comparant la ville de Jérusalem dévastée à une femme stérile et en employant des termes trouvés dans Genèse 11.3 0 , est une allusion à l’incapacité apparente de Sara à porter des enfants. Le fait que, dans le contexte du chapitre 54 d’Ésaïe, on trouve des images de l’Apocalypse au sujet de la nouvelle Jérusalem ayant des fondations de saphir et des portes de cristal (versets 11 et 12, Bible en français courant), suggère qu’il s’agit d’une ville construite par Dieu (Hébreux 11.10; voir Apocalypse 21.10-21). En associant la Jérusalem de maintenant à Hagar et la Jérusalem d’en haut à Sara (Galates 4.25,26) comme symboles de l’ancienne et de la nouvelle alliance, Paul ne fait pas de ce passage une allégorie, mais il souligne les implications sotériologiques d’une analogie déjà suggérée par Ésaïe et inhérentes au récit de la Genèse où Abraham tenta «d’accomplir la promesse d’une descendance faite par Dieu par des moyens humains ».DDP 131.1
Comme le montrent ces exemples, une étude approfondie du contexte des passages cités par les auteurs inspirés ainsi qu’une connaissance détaillée des antécédents bibliques sont nécessaires dans bien des cas pour comprendre le contexte évoqué par leur exégèse.DDP 131.2
Emploi théologique
L’emploi théologique de l’Écriture par les auteurs bibliques est manifeste quand des termes bibliques importants sont mentionnés sans explication. Nous avons déjà souligné le fait que le récit de la création était confirmé par les auteurs bibliques. Ainsi, il n’est pas surprenant de constater que ce thème apparaît dans leurs réflexions théologiques. Par exemple, l’origine d’Israël est décrite en des termes rappelant la création d’Adam (Ésaïe 43.1; voir Genèse 2.10 ; Colossiens 3.10) et qui recréera les cieux et la terre afin de les restaurer dans leur état de perfection absolue (2 Pierre 3.11-13; Apocalypse 21.15).2.7) . L’Évangile est basé sur la puissance de Dieu qui recrée (ou restaure) les êtres humains à l’image de leur Créateur (2 Corinthiens 4.6 ; 5.17; ÉphésiensDDP 131.3
L’exode est un autre concept théologique très présent dans l’Écriture. Il était annoncé dans l’appel lancé à Abraham consistant à quitter Ur (Genèse 11.31-12.1 ; Néhémie 9.7-12 ; voir Ésaïe 51.2) et même prédit dans un rêve (Genèse 15.12-16). Tout au long de l’Ancien Testament, l’exode, à savoir l’intervention de Dieu qui permit de délivrer Israël de l’esclavage en Égypte (Exode 15.22), devient un paradigme décrivant les futures actions de salut de Dieu - notamment l’exode d’Israël de retour de l’exil babylonien et son retour dans la terre promise (Ézéchiel 20.33 ; Ésaïe 43.16-19; 52.12) . «Si, lors de l’exode, Yahweh sauva le peuple en traçant «une route dans la mer et un sentier dans les eaux puissantes», alors il promet aux enfants de l’exil d’être avec eux quand ils passeront par les eaux agitées. Il préparera une voie et il fera apparaître des rivières dans le désert.»DDP 132.1
En décrivant la vie et le ministère de Jésus en ces termes, les auteurs des Évangiles montrent qu’ils connaissaient ce thème prophétique. Le texte de Marc 1.3 cite celui d’Ésaïe 40, faisant un lien entre la mission de Jean-Baptiste et le nouvel exode d’Ésaïe. Matthieu considère que l’exode est «récapitulé dans l’expérience personnelle du Christ». Sa citation d’Osée 11.1 ... d’Egypte j’ai appelé mon fils (Matthieu 2.15) révèle sa connaissance du contexte du livre et d’autres prophètes du VIIIe siècle qui décrivent le retour d’exil du peuple d’Israël en des termes messianiques comme le nouvel exode. Cette idée tire son origine de l’Ancien Testament. Faisant allusion à la mort imminente de Jésus, Luc l’évoque en utilisant le terme grec exodos (Luc 9.31). Le fait qu’il soit mentionné que la mort du Christ ait eu lieu à la période de la Pâque (Jean 19.14 ; voir 1 Corinthiens 5.7) et que cet événement soit rappelé par la Cène (1 Corinthiens 11.23-26) met l’accent sur l’approche chrétienne de la signification prophétique de cette fête juive et évoque peut-être l’enseignement de Jésus à ce propos.DDP 132.2
Un autre sujet est étroitement lié au concept d’un nouvel exode grâce auquel Israël rentrerait d’exil et serait à nouveau établi dans son pays, à savoir l’attente prophétique du royaume de Dieu en la personne d’un roi idéal (voir par exemple Ésaïe 32.1,17) , que les Évangiles présentent comme une caractéristique majeure de l’enseignement de Jésus concernant le royaume de Dieu (Matthieu 4.17 ; Marc 1.15; Luc 4.43,17-21 ; Jean 3.3,5 ; 18.36).DDP 133.1
On peut citer un autre thème récurrent dans le récit biblique, à savoir celui du grand conflit ou de la guerre du mal contre Dieu et ses plans, présent notamment dans le livre de l’Apocalypse, et plus précisément dans le chapitre 12. La guerre débute au ciel (verset 7), puis a lieu sur la terre (verset 9, une allusion à Genèse 3) et comprend un assaut final contre le reste eschatologique de Dieu (verset 17). Cette description du conflit entre Dieu (ou le Christ) et Satan montre que ce sujet est très présent dans l’Écriture et souligne son importance théologique . Un autre thème est là encore étroitement lié à celui-ci, à savoir la question du jugement qui, comme les Psaumes et les livres des prophètes le montrent, est un outil de délivrance et de justification tout au long de l’histoire d’Israël et mettra fin au péché et à la mort (Daniel 7.26,27 ; 8.14; Apocalypse 20). Le jugement est également le moyen permettant de montrer que Dieu et ses plans sont justes et bons à tous points de vue (Romains 3.4 ; Apocalypse 15.2-4).DDP 133.2
Emploi typologique
Les auteurs de la Bible faisaient référence à l’Écriture d’une autre façon, montrant qu’ils avaient une approche particulière de la relation entre les deux testaments, à savoir une approche typologique . En effet, certaines personnes, certains événements et certaines institutions étaient «spécialement conçus» par Dieu «pour préfigurer leur accomplissement eschatologique en Christ et les réalités de l’Évangile manifestées en lui, et être des antitypes ».DDP 133.3
La récurrence du mot typos («type») met l’accent sur cette approche typologique de l’Écriture par les auteurs du Nouveau Testament . Un type est une préfiguration voulue par Dieu d’une réalité future (une personne, un événement ou une institution) qui sera plus grande et plus complète («l’antitype»). On trouve un exemple de typos dans la description que fait Paul d’Adam, la figure de celui qui allait venir, à savoir Jésus (Romains 5.14). Dans les versets 12 à 21, nous trouvons une série de contrastes entre Adam, le premier homme de la race humaine, mais qui apporta le péché, la mort et la condamnation dans le monde, et Christ, à l’origine d’une nouvelle humanité, qui apporta la justice, la vie et la justification à ceux qui reçoivent ce don de la justice (verset 17). D’autres passages mentionnant cette notion de typos permettent de faire le lien entre les deux testaments à partir de certains événements (la rébellion d’Israël dans le désert est un avertissement pour l’Église, 1 Corinthiens 10.6,11) ou d’une institution (le sanctuaire terrestre est le reflet de l’original céleste, Hébreux 8.5).DDP 134.1
Outre ce procédé linguistique, il y a d’autres façons dont cette relation typologique est démontrée dans le Nouveau Testament. Dans l’Évangile de Matthieu, par exemple, Jésus fait référence aux trois jours et aux trois nuits passés par Jonas dans le ventre d’un grand poisson ; il précise qu’il s’agit d’un signe (sāmeion) ou d’un type de sa mort et de sa résurrection et que son œuvre est plus grande encore (Matthieu 12.38-41) . Plutôt que d’adopter artificiellement une approche typologique du récit de l’Ancien Testament, il est explicitement dit (verset 40) que Jonas lui-même décrivit de façon poétique cette expérience difficile en ces termes (Jonas 2.1-6), ce qui permit de faire un lien ultérieurement .DDP 134.2
Jésus insiste aussi sur le fait que le Messie attendu (ho christos) n’est pas seulement le Fils de David, mais le «Seigneur» de David (Marc 12.35-37, citant Psaumes 110.1) et que son œuvre est plus grande encore que celle de Salomon (Matthieu 12.42) . Cela semble montrer que, dans certains psaumes, David décrit son expérience de façon poétique et avec un langage allant au-delà de ce qui pouvait être uniquement appliqué au roi historique en tant que «Fils» de Dieu (voir par exemple Psaumes 2 et 22) . Étant donné la promesse solennelle faite à David (2 Samuel 7.12-16; voir 23.5) et les annonces prophétiques ultérieures selon lesquelles Dieu allait susciter un nouveau David (Ésaïe 11.1-5 ; Jérémie 23.5,6 ; 33.20,21 ; Ézéchiel 21.25-27 ; Osée 3.4,5 ; Amos 9.11,12 ; Michée 5.2-4 ; Zacharie 8.3 ; voir Genèse 49.10 ; Psaumes 132.11), les auteurs du Nouveau Testament identifient Jésus comme le personnage messianique préfiguré par le roi israélite et anticipé par les prophètes . Allant plus loin que les passages de l’Ancien Testament annonçant la venue du Messie, Jésus - en se décrivant lui-même comme le «berger» d’Israël (Marc 14.27 ; Jean 10.1-16) - fait allusion au fait qu’en rassemblant le «troupeau» de Dieu (Ézéchiel 34.23,24; 37.24,25 ; Jérémie 23.1-4) et en s’apprêtant à mourir sur la croix (Zacharie 13.7), une prophétie est accomplie.DDP 134.3
Les allusions faites par les auteurs bibliques peuvent également suggérer un lien typologique. Par exemple, les références au jugement final (Psaumes 50.3,4; 97.2-5; Michée 1.3,4; 1 Corinthiens 3.13; 2 Thessaloniciens 1.8; 2 Pierre 3.12) et notamment au «lac de feu» (Apocalypse 20.9,14 ; voir Psaumes 46.6 ; Nahum 1.5,6) semblent identifier le déluge du temps de Noé comme un type de la destruction finale de ce monde. Il semble même y avoir au moins un exemple d’un événement futur utilisé comme un type anticipant un événement à venir plus important encore. Dans les paroles qu’il prononça sur le mont des Oliviers, Jésus décrivit la destruction imminente de Jérusalem (Matthieu 24.15; voir Daniel 9.26,27) et il utilise ensuite cet événement à venir comme un type de la destruction qui surviendra à la fin du monde (Matthieu 24.27,28 ; Luc 21.25,26).DDP 135.1
Emploi rhétorique
Il existe quelques cas où les auteurs bibliques citent le langage de l’Écriture, mais semblent en faire une application différente de ce que l’on pourrait imaginer en étudiant le contexte d’origine. L’un des exemples nous est donné par Paul dans 1 Corinthiens 9.8-11, lorsqu’il fait allusion au commandement de Moïse : Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain. (Deutéronome 25.4) L’apôtre semble utiliser le langage du passage de l’Ancien Testament, mais il l’emploie différemment . Cependant, Paul défend son droit (ainsi que celui de Barnabas) à être soutenu financièrement par les Églises en vue de la proclamation de l’Évangile, citant non seulement son autorité en tant qu’homme, mais aussi la loi de Moïse (versets 8 et 9). Puis Paul demande : Dieu a-t-il souci des bœufs ? En réalité, n’est-ce pas à cause de nous qu’il parle ainsi ? Oui, c’est à cause de nous que cela a été écrit ; car celui qui laboure doit labourer dans l’espérance, et celui qui foule le grain doit le faire dans l’espérance d’en avoir sa part. (versets 9 et 10) Certaines personnes se sentent contraintes de dire que la mention de la loi énoncée avait pour but d’alléger la tension apparente entre cette loi et l’application qu’en fait Paul, mais l’intention d’origine était clairement le bien des bœufs. Pourtant, Paul semble l’ignorer .DDP 135.2
Il y a là peut-être un principe implicite selon lequel si les animaux méritent une telle attention, alors les êtres humains en méritent davantage. Cependant, l’argumentation de Paul ne va pas dans ce sens, et même si c’était le cas, le sens du texte qui est cité doit changer afin de correspondre à l’application qu’en fait l’apôtre - application qui doit prendre une signification théologique étendue en harmonie avec la dimension miséricordieuse de la législation mosaïque dans son ensemble.DDP 136.1
Le fait que Paul fasse référence à ce que le Seigneur a prescrit (verset 14) et cite une autre partie de la loi (1 Timothée 5.18), évoque la possibilité qu’il adopte l’interprétation qu’en fait Jésus pour les ouvriers de l’Évangile (» l’ouvrier mérite sa nourriture» [Matthieu 10.10]) . Dans ce cas, les mots de la loi, tout en mentionnant le bœuf comme un exemple type, seraient applicables à «tout ouvrier, ou toute espèce d’animal, y compris les êtres humains ». Dans ce cas, il ne s’agirait pas simplement d’un emploi rhétorique, mais d’une application exégétique du passage basée sur la façon dont il était compris au Ier siècle.DDP 136.2
Accomplissement prophétique
Enfin, il nous faut garder à l’esprit quelques principes majeurs concernant l’approche des auteurs bibliques de l’accomplissement des prophéties . Tout d’abord, les auteurs bibliques n’hésitent pas à affirmer que les prophéties sont prédictives , ce qui constitue environ 30 % de l’Ancien Testament . Deuxièmement, les prophéties apocalyptiques bibliques, et notamment celles de Daniel et de l’Apocalypse, doivent être distinguées des autres formes de littérature apocalyptique ainsi que des prophéties en général que l’on trouve majoritairement dans l’Ancien Testament . Le livre de l’Apocalypse utilise de nombreux symboles tirés des visions de Daniel, ce qui souligne les liens qui existent entre ces deux livres apocalyptiques. On peut notamment citer la période des 1 260 années qui montre que ces deux livres évoquent la fin de l’histoire de ce monde et la réalisation des plans de Dieu ainsi que du triomphe du bien sur le mal. En bref, Daniel et l’Apocalypse s’interprètent mutuellement. On ne peut comprendre l’un de ces deux livres sans l’autre . D’un autre côté, les prophéties générales s’intéressent avant tout à la volonté de Dieu dans un cadre historique précis, cette volonté exprimée suscitant une réaction d’obéissance. Elles ne donnent qu’un aperçu des événements «de la fin des temps ». Troisièmement, parmi les catégories majeures de prophéties prédictives de l’Ancien Testament, deux sont l’objet d’une attention particulière dans le Nouveau Testament : les prophéties messianiques et les prophéties concernant Israël. Nous allons maintenant étudier ces deux catégories de prophéties prédictives afin de mieux comprendre de quelle façon les auteurs bibliques les utilisent.DDP 136.3
Les prophéties messianiques
Les auteurs du Nouveau Testament sont convaincus que les attentes messianiques se sont concrétisées en Jésus (voir par exemple Luc 24.27 ; Jean 1.45; 2 Corinthiens 1.20). Cependant, concernant certaines prophéties de l’Ancien Testament qui semblent faites pour trouver une application dans le Nouveau Testament (par exemple Genèse 3.15; Nombres 24.27), on ne trouve pas d’application directe ou explicite de leur accomplissement dans la vie du Christ . D’autres prophéties messianiques citées par les auteurs bibliques sont soit difficiles à identifier (par exemple Matthieu 2.23) ou semblent n’être pas soutenues de façon manifeste dans les passages de l’Ancien Testament qui sont cités (versets 15 et 18). Cependant, une étude approfondie montre que ces prophéties sont citées de façon compréhensible par les auteurs bibliques, en harmonie avec le contexte immédiat et l’intention plus vaste de l’Ancien Testament .DDP 138.1
Nous pouvons prendre l’exemple de quelques passages. En prenant en compte notre réflexion sur la typologie, le psaume 2 (attribué à David dans Actes 4.25) semble s’accomplir en Jésus, qui est le Christ (Actes 4.26 ; voir Psaumes 2.2) et le Fils de Dieu (Actes 13.33 ; Hébreux 1.5 ; voir Psaumes 2.7). Sur le plan prophétique, ce psaume dépasse la portée historique de l’Ancien Testament dans la mesure où il précise que le Roi recevra les nations en héritage et que les limites de son royaume seront les extrémités de la terre (Psaumes 2.8,9 ; voir Apocalypse 12.5 ; 19.15) . De la même façon, Jésus lui-même suggère que la référence de David au Messie en tant que «Seigneur» (Psaume 110.1) indique autre chose que le simple rétablissement de la ligne de David (Marc 12.35-37 ; voir Actes 2.34-36). Pour aller plus loin, le fait que ce futur dirigeant appelé à s’occuper du «troupeau de Dieu» doive naître à Bethléhem (Michée 5.2-4), la «ville de David », s’accomplit par la naissance du Christ et est confirmé par les auteurs du Nouveau Testament (Matthieu 2.4-6 ; Luc 2.4 ; voir Jean 7.42).DDP 138.2
Il est très significatif aussi que les chants du serviteur d’Ésaïe 42 à 53 se soient accomplis en Christ (Matthieu 8.17; 12.15-21; Jean 12.38; 1 Pierre 2.21,22; voir Marc 10.45). Dans le contexte d’Ésaïe, ces chants alternent entre des références à une entité corporative (le peuple d’Israël, serviteur de Dieu) et une entité individuelle (le Messie), «ce qui indique que le Serviteur messianique représentera et synthétisera l’expérience de l’Israël de l’Ancien Testament ». Ce Serviteur ne peut être Israël, car il ramène le peuple à Dieu (Ésaïe 49.5,6) et il est puni pour ses transgressions (Ésaïe 53.8). Ce chant final «décrit aussi la résurrection du Messie, son ministère de grand-prêtre qui intercède et l’exaltation royale (Ésaïe 52.13 ; 53.11,12) ».DDP 139.1
Prophéties concernant Israël
De nombreuses prophéties concernent l’avenir d’Israël, et les promesses comme les avertissements étaient conditionnels et dépendaient de la réaction du peuple à la parole de Dieu (voir Jérémie 18.7-10 ; Jérémie 7.23). C’était aussi le cas pour les autres nations (par exemple les Cananéens dans Genèse 15.16 et le peuple de Ninive dans Jonas 3.4-10). Les promesses de Dieu faites à Abraham et réitérées à Isaac et Jacob étaient liées au don de terres, à une descendance nombreuse et à l’assurance d’être une bénédiction pour les autres nations (Genèse 12.13 ; 15.8 ; 17.7,8 ; 26.2-5 ; 28.13-15). Cependant, ces promesses ne peuvent être dissociées de la raison d’être d’Israël, à savoir adorer Dieu (Exode 4.22) et former une nation sainte (Exode 19.4-6). D’après Paul, l’appel d’Israël était inconditionnel (Romains 11.1,29), mais son appartenance continue au peuple de Dieu dépendait de sa capacité à accepter Jésus (versets 22 et 23 ; voir Osée 1.9,10) . L’Ancien Testament dit clairement que la terre n’appartenait pas uniquement à Israël ; c’était la terre de Dieu (Osée 9.3 ; Jérémie 2.7), une terre sainte (Psaume 78.54). Il fallait donc respecter un sabbat pour la terre tous les sept ans et elle ne pouvait être vendue de façon définitive (Lévitique 25.2,23). L’occupation de la terre par Israël dépendait de son obéissance. Dans le cas contraire, elle serait (et fut) perdue et le peuple serait dispersé (Ésaïe 1.19,20; Jérémie 7.3 1 5) .DDP 139.2
Ainsi, le retour à la terre d’Israël impliquait également un retour spirituel au Seigneur (Ésaïe 10.20,21 ; Jérémie 23.5-8 ; voir Ézéchiel 37). Comme nous l’avons vu, un aspect important de la mission du Serviteur d’Ésaïe consistait à favoriser ce retour à Dieu. C’est ce que Jésus accomplit en rassemblant un petit troupeau (Luc 12.32) ou un reste (Romains 9.27 ; 11.5) d’Israël en fonction de sa capacité à répondre à son appel . D’après les prophètes, cet Israël nouveau enseignerait les voies de Dieu à toutes les nations (Ésaïe 2.2-4 ; Malachie 1.11) et regrouperait toutes les nations (Ésaïe 66.19,20 ; Zacharie 8.20-23).DDP 139.3
Les auteurs du Nouveau Testament témoignent de cet Israël nouveau où il n’y a plus ni Juif ni Grec, [...] car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ. Et si vous appartenez au Christ, alors vous êtes la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse (Galates 3.28,29 ; voir Romains 9.6). Ainsi, Paul peut parler de l’Israël de Dieu (Galates 6.16) et de la circoncision du cœur (Romains 2.29) de ceux qui mettent leur fierté en Jésus-Christ (Philippiens 3.3) . Pierre peut parler des chrétiens comme d’une lignée choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis (1 Pierre 2.9 ; voir Exode 19.6). Et Jean peut parler de ceux sur le front desquels se trouvent le nom du Père et celui de l’Agneau (Apocalypse 14.1) et qui ne font pas partie de ceux qui se disent juifs et ne le sont pas (Apocalypse 2.9 ; 3.9). On trouve des images fortes décrivant cet Israël nouveau et unifié dans tout le Nouveau Testament : un troupeau et un Berger (Jean 10.16) ; un olivier (Romains 11) ; un temple spirituel (Éphésiens 2) ; une vierge eschatologique (Apocalypse 12) ; et notamment la vision de la nouvelle Jérusalem accordée à Jean, avec le nom des douze tribus sur ses portes et le nom des douze apôtres sur ses fondations (Apocalypse 21.12,14).DDP 140.1