Les adventistes
William Miller (1792-1849), qui fut à l’origine du mouvement de réveil des années 1830 et 1840, mettait l’accent sur le rôle essentiel du Saint-Esprit dans sa conversion personnelle. «Par l’intermédiaire de son Saint-Esprit, Dieu m’a ouvert les yeux», déclara-t-il. Il est «un roc au milieu de l’océan de la vie». Jésus devint son ami, et la Bible, un véritable délice. Le fait que la religion se démocratise signifiait que tout le monde pouvait étudier la Bible grâce à l’action du Saint-Esprit. Miller, comme beaucoup d’autres figures majeures du Second Grand réveil, insistait sur la prééminence de l’Écriture, mais il était ouvert à l’idée que de nouvelles révélations puissent survenir par l’intermédiaire de rêves. Plus tard, les adventistes sabbatistes comme James White considérèrent les rêves de Miller comme le signe que Dieu le guidait.DDP 291.1
Certains historiens comme George R. Knight considèrent qu’il y avait environ deux cents visionnaires prophétiques rien qu’en Nouvelle-Angleterre durant les années 1840. M. F. Whittier, qui n’était pas adventiste, le frère de John Greenleaf Whittier, déclara qu’à Portland «les visions étaient très courantes». Merlin Burt souligne que cette activité visionnaire était à «la périphérie» de l’adventisme millérite, mais des recherches menées par Ann Taves montrent qu’elles étaient centrales dans l’histoire de l’adventisme. Fred Hoyt et Ron Graybill mentionnent au moins cinq visionnaires qui s’étaient fait connaître dans la région de Portland, dans le Maine, vers 1844 : Dorinda Baker, Emily C. Clemons (plus tard Pearson) , Mary Hamlin, Phoebe Knapp et William Foy. Les recherches qui ont été effectuées n’ont révélé que peu d’informations sur leur vie, à l’exception de Clemons, qui eut ensuite une carrière littéraire importante. Un lien s’établit entre Dorinda Baker et Ellen Harmon (plus tard White) ; toutes deux avaient apparemment eu des visions suite à la grande déception, et notamment une dont on parla beaucoup dans la maison de James Atkinson Jr. Après cela, l’arrestation et le procès d’Israel Dammon semèrent le doute concernant les visionnaires et le fanatisme qui suivit cette grande déception . «Les choses vont mal à Portland», écrivit Joshua V. Himes à William Miller. Il évoqua le cas de Dammon, qui avait pris une «femme spirituelle» et accepté ses visions . Certains historiens considèrent que le procès d’Israel Dammon montre de quelle façon Ellen White, avec l’aide de James White, s’affirma face à des rivaux prophétiques . Malheureusement, nous manquons d’éléments concrets, et certains témoignages sont contradictoires. Selon Ellen Harmon, Dammon et les autres faisaient preuve d’un fanatisme très poussé .DDP 291.2
En revanche, Ellen White déclara que deux visionnaires avaient joué un rôle important dans son parcours. Le premier est William Foy (1818-1893), un Afro-Américain qui eut au moins deux visions et qui publia une brochure . Manifestement, Ellen Harmon l’entendit parler à deux reprises et elle eut le sentiment que ses visions étaient authentiques. Un autre visionnaire, Hazen Foss (1819-1893), semble aussi avoir eu des visions. D’après Ellen White, il refusa d’en parler, et c’est la raison pour laquelle ses visions cessèrent. Elle raconta que lors de l’une de leurs rencontres, il lui recommanda d’être fidèle dans la façon dont elle partageait ses visions .DDP 292.1
Il semble que les rêves et les visions étaient fréquents lors du Second Grand réveil. Ainsi, il n’est pas surprenant que les millérites aient été ouverts à l’idée que de nouvelles révélations soient possibles . Après la grande déception des millérites due au fait que le Christ n’était pas revenu le 22 octobre 1844, de nombreux adventistes millérites abandonnèrent leur foi. Certains d’entre eux furent attirés par d’autres mouvements, dont les shakers. Peu d’entre eux adhérèrent au spiritisme. Ces changements montrent que les limites du canon biblique étaient floues, ce qui rendait possible le passage d’une série de croyances à une autre. Enfin, le groupe constitué par les adventistes millérites qui étaient guidés par Joshua V. Himes, le bras droit de Miller, finit par dénoncer toute forme de radicalisme, et notamment les visions, lors de la rencontre d’Albany en mai 1845 : «Nous ne nous fions pas aux messages, aux visions, aux rêves, aux manifestations en langues, aux miracles, aux révélations extraordinaires, aux impressions, au discernement des esprits ou aux enseignements nouveaux qui ne soient pas en harmonie avec la Parole inchangée de Dieu .» Himes pensait que toutes ces manifestations surnaturelles étaient des formes radicales du christianisme qui discréditeraient le mouvement.DDP 292.2
L’un de ces groupes que Himes considérait comme radical en raison de ses liens avec Ellen Harmon, qui avait des visions, était constitué de personnes s’étant retirées de toute organisation. Ce groupe était «radical» parce qu’il considérait que ses positions étaient légitimes, mais il pensait également que les visions d’Ellen Harmon étaient authentiques. Certaines personnes comme Otis Nichols allèrent jusqu’à écrire à William Miller, lui demandant de s’y intéresser. Si Miller répondit, sa réponse s’est perdue . Après sa première vision, Ellen Harmon entreprit un voyage avec sa sœur Sara et James White afin d’encourager les adventistes déçus. De son côté, James White pensait que les visions étaient des manifestations de la fin des temps : «Je crois que la Bible nous encourage à aspirer à des visions . »DDP 293.1
Joseph Turner fut l’un des premiers opposants à Ellen Harmon. Il pensait qu’elle n’était pas sincère. D’autres, comme Sargent et Robbins, certainement ses deux plus farouches opposants, se rendirent en Nouvelle-Angleterre pour critiquer ses déclarations prophétiques. Ils déclarèrent qu’elle était adepte du mesmérisme et qu’elle avait des visions grâce à la force odique de James White. Otis Nichols, l’un de ses soutiens, décrivit ceci :DDP 293.2
«Les groupes de croyants de Boston, Roxbury et Randolph, un grand groupe, s’était totalement opposé à frère et sœur White en raison des faux enseignements, des fausses déclarations et des influences sataniques de J. Turner et ses proches, T. Haskin Harvel et d’autres. Ceux-ci les incitèrent à croire que les visions d’Ellen White venaient du diable et que frère White exerçait une telle influence sur elle qu’elle ne pouvait avoir de visions en son absence. Ils portèrent d’autres fausses accusations contre elle. Il en fut ainsi pendant plusieurs mois et j’ai donc proposé à sœur White et à sa sœur Sara, qui étaient alors chez leur père à Portland, d’aller à Boston sans frère White afin de rendre visite aux groupes de Boston, Roxbury et Randolph et de leur montrer, si cela était possible et en cas d’opposition aux visions, qu’ils avaient été trompés par ceux qui les avaient enseignés . »DDP 293.3
Ellen White, Sargent et Robbins se rencontrèrent lors de ce voyage. Au cours de leur échange, Ellen eut une vision qui dura tout l’après-midi. Au cours de cette vision, elle tenait «la Bible ouverte entre ses mains, elle marchait dans la pièce et elle récitait des passages de l’Écriture». En dépit de leurs efforts, Sargent et Robbins furent incapables de mettre fin à sa vision. Par conséquent, «ils ne surent que dire», même si une partie du groupe continuait à s’opposer au ministère prophétique d’Ellen White. Nichols précisa qu’elle disait à leur sujet : «La malédiction de Dieu surviendra bientôt.» Plus tard, ils tombèrent dans le fanatisme .DDP 294.1
Ellen Harmon, James White, Otis Nichols et d’autres commencèrent à former un groupe qui se fit connaître sous le nom «d’adventistes de l’époux», car ils croyaient notamment au concept de «porte fermée» en lien avec la parabole des dix vierges (Matthieu 25.1-13). Ils pensaient que c’était une illustration de leur propre expérience. À la fin des années 1840 et au début des années 1850, ils continuèrent à croire à la continuité des charismata, y compris les guérisons, les rêves, les visions et d’autres formes d’effusion de l’Esprit dans les derniers jours (Joël 2.28-32). Progressivement, ils définirent une théologie des dons spirituels basée sur la prééminence de l’Écriture, mais dans laquelle l’idée de continuité de tous les charismata, y compris le don de prophétie, avait toute sa place.DDP 294.2
En 1849, James White déclara: «La Bible n’enseigne pas que le temps de ces révélations particulières est révolu. Il y a de nombreux témoignages selon lesquels l’Église doit être fortifiée par des révélations particulières qui surviendront dans les derniers jours». «Ainsi, nous pouvons nous attendre à ce type de révélations jusqu’à ce que la fin vienne .» Le don de prophétie n’était pas incompatible avec le canon, c’est précisément le canon de l’Écriture qui était à l’origine du don de prophétie à la fin des temps. C’est peut-être M. E. Cornell qui développa le plus cette idée dans sa brochure intitulée Miraculous Power : The Scripture Testimony on the Perpetuity of Spiritual Gifts, en 1862. Dans cette brochure, Cornell relata l’histoire des visions et des miracles après la fermeture du canon du Nouveau Testament. Il semble être allé plus loin que ses pairs l’auraient souhaité, cependant, car plus tard, ceux-ci considérèrent que les visions d’Ellen White étaient les seules manifestations authentiques du don de prophétie après la constitution de la Bible .DDP 294.3
Ellen White considérait que son ministère entrait dans le cadre de la continuité du don de prophétie. Elle refusait le titre de «prophète» car il avait été discrédité par l’attitude de nombreuses personnes. Cela s’explique peut-être aussi par les expériences négatives qu’elle avait vécues avec des personnes fanatiques comme Dammon, Sargent et Robbins. Elle voulait aussi marquer une différence entre son ministère et celui des médiums spirites qu’elle pensait être sous l’influence de Satan. Le spiritisme la préoccupait beaucoup, et elle resta éloignée des mouvements défendant les droits des femmes, car leurs leaders étaient parfois affiliés au spiritisme. Elle rejetait d’autres mouvements comme les mormons. En fait, elle considérait que son ministère et le rôle qu’elle était appelée à jouer étaient plus larges que celui d’un prophète. Ses conseils ne devaient pas prendre la place de l’Écriture, mais inciter les gens à prendre conscience de l’autorité et de la prééminence de l’Écriture. Même si les révélations pouvaient brouiller les limites du canon biblique, elle insistait sur l’origine divine de l’Écriture. Elle était convaincue que la source de ses visions était inchangée : Jésus-Christ. Mais il s’agissait d’une petite lumière menant à la grande lumière, la Parole de Dieu.DDP 295.1
Comme nombre de ses contemporains, elle avait parfois des positions ambiguës qui brouillaient les limites du canon biblique. Par exemple, dans A Word to the «Little FLock », on trouve des références aux livres apocryphes. Différentes explications ont été avancées, dont la possibilité qu’elles aient été ajoutées par James White ou Joseph Bates. Manifestement, ces références ne la gênaient pas. En fait, il s’agissait davantage d’informations et d’illustrations, et il semble qu’elle n’insistait pas sur la signification de ces livres. Pour elle, ce n’était qu’un détail, car la Parole de Dieu contenait tout ce qui est nécessaire au salut. Dans ce domaine, Ellen White se distingua à une époque où les visions et les rêves surnaturels étaient courants. Contrairement à des visionnaires comme Joseph Smith qui affirmait que ses visions remplaçaient les révélations précédentes, y compris la Bible, Ellen White considérait que ses visions avaient une autorité moindre et qu’elles étaient soumises à l’autorité de l’Écriture. De plus, contrairement aux shakers et aux spirites, elle ne cherchait pas une lumière intérieure qui pouvait la guider au-delà du canon biblique. Elle pensait avoir un rôle particulier à jouer dans le but de reprendre et d’encourager le peuple de Dieu qui attendait le retour proche du Christ. Elle s’appuyait donc sur l’autorité de la sola scripturaDDP 295.2