La réaction émotionnelle du prophète
Nous avons déjà souligné le fait que l’étude des émotions dans les textes bibliques est un domaine nouveau. Dans cette partie, nous présenterons brièvement ce que disent les théologiens concernant ce sujet qui suscite un intérêt croissant . L’ouvrage de Gary Anderson, A Time to Mourn, A Time to Dance (1991), est une publication majeure, même s’il s’intéresse essentiellement aux expressions de joie et de tristesse dans la religion ou l’adoration israélite . Notre approche des réactions émotionnelles dans la Bible hébraïque est beaucoup plus spécifique. Des recherches ultérieures se sont intéressées à des données comparatives du Proche-Orient ancien, comme nous pouvons le constater dans l’étude de Fox sur le fait de frapper dans les mains pour exprimer la colère et l’angoisse en Mésopotamie et en Israël . En 1998, Mark Smith publia une étude sur le cœur et les entrailles dans les formes d’expression des Israélites, se basant sur des recherches anthropologiques et psychologiques . Les recherches de Smith abordent surtout la sémantique et les métaphores plus que les émotions exprimées dans un texte. Cependant, sa conclusion est particulièrement intéressante. «Les émotions ne font pas partie d’un monde intérieur des sentiments qui serait indépendant du processus de communication extérieure pour autrui. Au contraire, les émotions jouent un rôle important dans le domaine de la communication et peuvent préparer l’individu à agir .» Mais c’est Paul Kruger, de l’université Stellenbosch en Afrique du Sud, qui a surtout contribué à enrichir le débat sur les émotions dans l’Ancien Testament. En 2000, Paul Kruger publia un certain nombre d’études sur la colère, la dépression et la peur dans l’Ancien Testament . Son intérêt particulier pour la linguistique cognitive explique l’approche qu’il adopte et rappelle aux lecteurs et aux spécialistes que les textes sont le reflet de réalités culturelles et cognitives. Certains de ses étudiants ont également publié des études sur la linguistique cognitive et les émotions, comme Kotzé et Basson . Kotzé déplore à juste titre le manque relatif de ressources concernant la colère dans l’Ancien Testament en dehors de la question importante d’un point de vue théologique de la colère divine . Plus récemment, Thomas Kazen a pris en considération la biologie, les neurosciences et la psychologie comportementale en étudiant les processus physiologiques et neurologiques qui sous-tendent les émotions dans la loi biblique, et ce dans son contexte culturel . Comme le souligne Hundley, le fait que Kazen ne fasse pas la distinction entre l’origine et la rhétorique, «entre les émotions qui contribuent à produire une loi et les émotions utilisées pour en faire la promotion » est un problème non négligeable, cette question nécessitant d’être approfondie.DDP 172.2
Au cours des dix dernières années environ, un certain nombre d’études et de thèses abordant la question des émotions dans les textes prophétiques de l’Ancien Testament ont été publiées . Beaucoup de ces études abordent la notion de la colère divine ou humaine. Dans sa thèse, Deena Grant, de l’université de New York, étudie la colère biblique dans la littérature biblique ainsi que la question de herem, le guerrier divin et la guerre . La thèse de Grushkin, qui vient de la même université, étudie l’impact des émotions sur le corps humain tel que cela apparaît dans l’Ancien Testament et aborde notamment la relation entre les différentes parties du corps et la physiologie des émotions . La thèse de David Phinney publiée en 2004 à Yale s’intéresse plus particulièrement au prophète Ézéchiel, mettant en évidence un certain nombre de stratégies utilisées dans la Bible hébraïque pour communiquer les émotions .DDP 174.1
Enfin, l’ouvrage le plus récent sur ce sujet est celui d’Angela Thomas qui compare les idiomes anatomiques et l’expression des émotions dans le texte massorétique de l’Ancien Testament et sa traduction en grec de la Septante . Angela Thomas s’intéresse notamment à la linguistique comparative, à savoir la traduction d’un langage idiomatique (ou émotif) dans une autre langue dont la syntaxe et la grammaire sont très différentes de la langue d’origine. Après cette présentation des différentes publications sur le sujet des émotions, intéressons- nous maintenant à l’expression des émotions dans la Bible.DDP 174.2
L’expression des émotions dans la Bible
Bien que la Bible n’aborde pas directement la question des pensées et des émotions des prophètes, différentes méthodes sont utilisées pour les décrire. Comme l’a souligné Phinney, la plupart des livres prophétiques emploient à la fois la troisième personne et la voix directe du prophète pour exprimer ses réactions personnelles - et parfois ses émotions .DDP 174.3
L’un des façons les plus courantes d’exprimer des émotions dans le texte biblique (et notamment dans l’Ancien Testament) est de parler de ces émotions en employant un langage corporel . Dans le langage courant, les émotions sont souvent décrites avec des expressions évoquant différentes parties du corps. Nous disons que nous avons le souffle coupé quand nous apprenons une mauvaise nouvelle, par exemple. Kruger a identifié dix-neuf changements physiologiques indiquant la peur dans la Bible hébraïque . Cette liste comprend l’agitation physique avec des tremblements (Exode 19.16 ; 15.15 ; Aggée 2.7 ; Exode 19.18) et des frémissements (Habacuc 3.16); un cœur agité (Psaumes 38.10,11); des visages pâlissants (Nahum 2.10,11 - qibběsû pā’rûr en hébreu, qui signifie littéralement «devenir pâle») ; des poils du corps qui se hérissent (Job 4.14,15) ; une incapacité à bouger (Exode 15.16) ; une incapacité à respirer (Daniel 10.17); etc. De la même façon, Kruger liste toutes les expressions métaphoriques concernant la colère, y compris l’image du corps contenant la colère (Ésaïe 30.27 ; Ézéchiel 38.18) ; une colère croissante produisant de la fumée (2 Samuel 22.9 ; Job 4.9) ; une colère semblable à un feu (Ésaïe 30.27 ; Jérémie 4.4 ; etc.) ; ou une colère comparable à un ennemi (Psaumes 69.24-26) ou à un animal dangereux (Ézéchiel 43.8) . L’émotion positive de la joie est souvent associée à l’image du chant et de la proclamation. De plus, la joie est visible. La joie rend le visage heureux (Proverbes 15.13) et éclaire les yeux (verset 30). La joie se traduit aussi par une bouche pleine de rires (Job 8.21 ; Psaumes 126.2) .DDP 175.1
Après ces remarques générales sur les émotions, nous prendrons quelques exemples de la façon dont les prophètes réagirent émotionnellement à l’appel et au message divins, et de la façon dont l’implication émotionnelle des prophètes affectait leur message.DDP 175.2
Réaction émotionnelle à l’appel prophétique
Quand nous étudions les récits d’appels prophétiques dans l’Écriture, il est surprenant de constater que, généralement, la première réaction des prophètes était négative. En effet, ils se sentaient indignes, peu préparés ou simplement effrayés.DDP 176.1
Ésaïe emploie l’expression ‘ôy-lî, «malheur à moi» pour évoquer sa réaction quand il vit Dieu en vision, des termes exprimant une forte émotion négative. Étonnamment, le préfixe ‘ôy est généralement employé lors de lamentations ou de deuil (1 Samuel 4.7,8). Manifestement, Ésaïe anticipe ses propres funérailles en voyant l’apparence glorieuse de Dieu . Cependant, un ange toucha les lèvres d’Ésaïe avec un charbon ardent de l’autel (Ésaïe 6.6) et il sembla alors s’animer. Il est d’ailleurs le seul prophète de l’Écriture à se proposer pour cette mission. Il déclara : Je suis là, envoie-moi ! (verset 8)DDP 176.2
On observe des points communs avec l’appel de Jérémie (Jérémie 1.4-10). Le texte hébreu comporte une forme similaire dans un autre passage de l’Ancien Testament pour exprimer la terreur . Manifestement, Jérémie a le sentiment de ne pas être à la hauteur de la tâche en raison de son inexpérience et de sa jeunesse (verset 6). Dans un monde où l’âge détermine l’importance, la réaction de Jérémie est légitime et compréhensible . Dieu touche alors sa bouche (ce qui fait écho à l’expérience d’Ésaïe) et le prophète a ensuite une vision dans laquelle il voit un amandier et une marmite bouillante. Cependant, contrairement à Ésaïe, il semble toujours avoir peur, mais davantage à l’idée de transmettre le message plutôt que de Dieu, comme on peut le voir dans les demandes et les avertissements de Jérémie 1.17-19.DDP 176.3
L’appel d’Ézéchiel est caractérisé par de nombreuses émotions négatives. Le prophète tomba face contre terre après avoir eu une vision de Dieu (Ézéchiel 1.28) . Celui-ci lui redonna la force dont il avait besoin et il fit alors une description peu flatteuse de la mission qui l’attendait. Il lui recommanda de ne pas être rebelle (Ézéchiel 2.8). Le texte biblique souligne qu’Ézéchiel fut irrité et furieux après la vision (Ézéchiel 3.14) . Aucune explication précise n’est donnée pour justifier cette réaction. Peut-être Ézéchiel se sentit-il écrasé par le poids des responsabilités, comme Jérémie ou Ésaïe. Cooper pense que la réaction du prophète fut peut-être due à l’attitude négative de son entourage - ce qui avait d’ailleurs été annoncé par Dieu (Ézéchiel 2.5-8 ; 3.6-11) . L’impact émotionnel de la vision fut si grand qu’Ézéchiel resta prostré pendant sept jours. Il était bouleversé et manifestement trop effrayé pour partager cette vision (Ézéchiel 3.15), comme l’indique l’avertissement que Dieu lui adressa, lui disant qu’il serait tenu pour responsable du sang de ceux qu’il ne préviendrait pas (versets 16-21).DDP 176.4
Il faut également mentionner Moïse, le précurseur des prophètes (Deutéronome 18.15) dans l’Ancien Testament. Lui aussi fut envahi d’émotions négatives lorsqu’il fut appelé à porter le message de Dieu à Pharaon. En entendant la voix de Dieu près du buisson-ardent, Moïse se détourna, car il avait peur de diriger ses regards vers Dieu (Exode 3.6). Après avoir reçu l’appel de Dieu, la crainte de Moïse sembla évoluer. Au lieu d’avoir peur de Dieu qui l’appelait, il se mit à craindre la façon dont le message serait reçu en Égypte. Moïse invoqua alors une série d’excuses auxquelles Dieu apporta patiemment des réponses dans le but de dissiper la peur de Moïse : Je serai avec toi, lui dit-il (Exode 3.12); je t’enseignerai ce que tu devras dire (Exode 4.12). Les émotions de Moïse étaient exacerbées, comme le montre son désir de fuir quand son bâton se transforma en serpent - et en signe (verset 3). Enfin, Moïse fut à court d’arguments, mais il était encore trop effrayé pour répondre à l’appel de Dieu. Les dernières paroles qu’il prononça lors de cet échange furent: Pardon, Seigneur! Je t’en prie, envoie quelqu’un d’autre, qui tu voudras! (verset 13) On a l’impression que Dieu ne parvenant pas à convaincre Moïse de surmonter sa peur, il le poussa à choisir entre deux craintes. Le texte d’Exode 4.14 dit littéralement : Le nez de YHWH devint chaud, qui est traduit par : Le Seigneur se mit en colère contre Moïse. Certains traducteurs insistent même davantage : La colère du Seigneur s’enflamma contre Moïse . (TOB) Cela semble avoir été le coup de pouce émotionnel dont Moïse avait besoin pour commencer son voyage de retour en Égypte - et son ministère pour le Seigneur.DDP 177.1
Implication émotionnelle dans la vision divine
Les visions n’étaient pas des expériences aisées pour les prophètes bibliques. Non seulement ils découvraient les événements, les lieux et les enseignements divins, mais ils étaient aussi souvent actifs et ils s’impliquaient émotionnellement dans les scènes qui leur étaient décrites. Ézéchiel et Jean reçurent l’ordre de manger des livres durant leur vision (Ézéchiel 2.9-3.3 ; Apocalypse 10.9). Jean eut pour mission de s’impliquer en prenant des mesures avec un roseau (Apocalypse 11.1). De plus, les prophètes participaient souvent aux visions en posant des questions ou en étant eux-mêmes questionnés (voir par exemple Amos 8.2 ; Zacharie 1-6 ; Habacuc).DDP 178.1
Les prophètes éprouvaient toutes sortes d’émotions pendant les visions. Quand ils apercevaient la gloire de Dieu, ils éprouvaient souvent un sentiment de peur et de grand respect. Après avoir vu quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme (Apocalypse 1.13), Jean tomba à ses pieds, comme mort (verset 17). Daniel vécut une expérience similaire (Daniel 8 et 10), ce qui nous permet de faire un lien entre l’autorité prophétique de l’Ancien Testament et la dimension prophétique et eschatologique du Nouveau Testament . Dans sa vision, Daniel vit un bélier et un bouc et il était en train d’essayer de donner du sens à tout cela quand Gabriel s’approcha pour lui expliquer la vision. Daniel déclare qu’il fut rempli d’effroi et qu’il tomba face contre terre (Daniel 8.17).DDP 178.2
Cependant, la peur n’est pas la seule émotion vécue par les prophètes lors d’une vision. Nous pouvons citer l’exemple de Jean qui s’impliqua tant dans la vision du livre scellé et des sept sceaux qu’il pleura beaucoup (Apocalypse 5.4) parce que personne n’avait été trouvé digne de l’ouvrir. Le sens du verbe employé est accentué avec l’adverbe «beaucoup».DDP 178.3
Jean n’éprouva pas uniquement des émotions négatives lors de ses visions, comme nous le montre sa réaction en découvrant la femme ivre du sang des saints (Apocalypse 17). Quand il la vit, il fut frappé d’un grand étonnement (verset 6). La traduction littérale du texte grec pourrait être : «Je m’étonnai d’un grand étonnement.» Une grande surprise est exprimée ici . Les traducteurs et les théologiens peinent à comprendre cette phrase, car cette émotion peut exprimer un sens positif . Le même terme grec est employé dans Apocalypse 13.3 pour décrire l’étonnement ou l’émerveillement du monde en observant la guérison miraculeuse de la bête suite à sa blessure fatale. Dans Apocalypse 13.3, cet étonnement transforme les observateurs en disciples. L’émotion de Jean exprimée dans Apocalypse 17.6 fut certainement manifeste, car l’ange se sentit poussé à lui poser une question au verset 7.DDP 178.4
Le texte de Zacharie 3 nous donne un autre exemple de réaction empreinte d’émotion. Lors de la vision de Josué le grand prêtre, Zacharie s’enthousiasma au point de participer activement à la vision. Après avoir été témoin de l’échange entre l’ange du Seigneur et Satan au sujet de Josué, il constata que les vêtements sales de Josué étaient remplacés par des vêtements propres. Alors Zacharie s’engagea totalement, il s’oublia lui-même et participa en demandant qu’un turban propre lui soit apporté (Zacharie 3.5). D’observateur, il devint participant . Comme le soulignent C. Meyers et E. Meyers, «l’emploi de la première personne à ce moment précis de la vision est inattendu et, pour la plupart des commentateurs, évoque l’intervention impulsive du prophète dans le texte. Les traducteurs ont peiné à traduire ce passage, soit en omettant (LXX) la première personne, soit en utilisant la troisième personne (Vulgate et Peshitta) ».DDP 179.1
Réaction émotionnelle lors de la réception d’un message divin et de sa proclamation
Après avoir transmis un message, les prophètes ressentaient souvent diverses émotions. Parfois, ils étaient frustrés ou même en colère quand ils constataient que le message de Dieu était accueilli avec indifférence ou hostilité (1 Rois 18.21,22; 22.28; 2 Rois 13.19).DDP 179.2
L’histoire de Jonas est intéressante de ce point de vue. Ce livre semble être le récit d’un prophète refusant de partager les émotions de Dieu. Le premier chapitre nous donne peu d’indications sur l’état émotionnel de Jonas, si ce n’est que, de façon étonnante, la forme verbale yārad est répétée : Il descendit (Jonas 1.3,5 et 2.7). Ce verbe semble associer un état à un lieu et pourrait être décrit comme «une fuite verticale», comme le souligne Kamp . Nous en concluons que Jonas n’accepta pas son appel, comme le souligne le fait qu’il fuie dans la direction opposée de celle où il était invité à se rendre. Le premier chapitre est caractérisé par l’absence notoire de remarques sur d’éventuelles émotions de Jonas. Le fait que les marins eurent peur (Jonas 1.5) et même très peur (verset 10), et furent saisis d’une grande crainte du Seigneur (verset 16) contraste grandement avec l’attitude de Jonas qui semble vide du point de vue émotionnel. Aux questions pressantes des marins terrifiés, il déclara avec force qu’il fallait le jeter dans la mer agitée. Son absence d’émotion frôle l’apathie et contraste vivement avec les efforts désespérés des marins pour ramer afin de gagner la terre ferme (verset 13) et éviter ainsi de sacrifier un être humain et d’éprouver un sentiment de culpabilité. Quand l’équipage comprit que tout effort était vain, il implora le pardon de Dieu (verset 16) alors que Jonas resta silencieux. Il semblait ne rien éprouver alors qu’il était pourtant confronté à la mort.DDP 179.3
Jonas commença seulement à avoir des émotions durant sa prière (Jonas 2) lorsqu’il était dans le ventre du poisson. Il évoqua alors sa détresse ou son affliction (verset 3) . Après son sauvetage épique, il fut prêt à exprimer et transmettre certaines émotions, à savoir la colère de Dieu (Jonas 3.4), mais il n’était pas prêt à se ranger du côté de Dieu. Le fait que Dieu éprouve de la compassion pour la ville et renonce à son projet (verset 10) suscita une surprenante réaction émotionnelle chez Jonas. Cela fut très mal pris par Jonas, qui se fâcha. (Jonas 4.1.) Jonas expliqua alors pour quelle raison il avait fui à Tarsis, en réaction à la compassion et à l’amour de Dieu (verset 2). Le lecteur s’attend pourtant à ce qu’un prophète soit heureux quand un message de Dieu est accepté. Mais le texte nous dit que Jonas «éprouva une grande joie» uniquement lorsqu’un ricin poussa audessus de lui. Quand le ricin se dessécha, il exprima alors une émotion extrême, au point de demander la mort (verset 9). Le livre de Jonas se termine avec l’appel de Dieu adressé à Jonas, l’invitant à partager sa pitié pour les habitants et même les animaux de Ninive (verset 11).DDP 180.1
Parfois, les prophètes luttaient pour donner du sens à ce qu’ils avaient vu en vision. Il leur arrivait d’être si angoissés qu’ils en tombaient malades physiquement. Après la vision des 2 300 soirs et matins (Daniel 8.26), Daniel fut malade pendant plusieurs jours. Daniel était atterré par la vision parce qu’il ne la comprenait pas (verset 27).DDP 180.2
Les prophètes avaient des émotions intenses lors des visions. En fait, durant ces visions, ils prenaient conscience de certains péchés et ils avaient une réaction négative vis-à-vis du péché, parfois même longtemps après les visions. Le prophète Jérémie, par exemple, fut sensibilisé à plusieurs reprises au sujet du danger et des conséquences de l’idolâtrie. Jérémie 44 contient un message pour le reste qui avait fui en Égypte, contrairement à ce que Dieu avait demandé. Le message divin rappela une fois encore la désapprobation de Dieu pour l’idolâtrie et ses conséquences (désolation, exil et calamités) . Jérémie, qui était alors conscient de la gravité de ce péché, reprocha aux femmes de rendre un culte à la reine du ciel en brûlant de l’encens et en répandant des libations (Jérémie 44.20-30) .DDP 181.1
Il arrivait souvent qu’en raison des messages qu’ils proclamaient, les prophètes s’attirent les foudres de la population. Beaucoup d’entre eux craignaient pour leur vie. Comme nombre de prophètes qui l’avaient précédé, Jérémie n’était pas populaire en raison de ses prophéties. Dans Jérémie 1.18-23, Dieu lui-même révèle un complot contre le prophète, peut-être même préparé par la famille de Jérémie dans sa ville . La désillusion, la frustration et les interrogations caractérisent la réaction de Jérémie à cette crise émotionnelle et existentielle. Il est intéressant de noter que la lamentation poétique de Jérémie 11.20 utilise le langage du corps, dont les reins (mot traduit par «esprit» dans la version King James) et le cœur .DDP 181.2
L’histoire d’Élie est caractérisée par un grand nombre d’émotions variées - les siennes ainsi que celles des dirigeants et de la population. Suite à la manifestation de la souveraineté et de la puissance de Dieu au Mont Carmel (1 Rois 18), Élie éprouva tout d’abord un sentiment de triomphe et de victoire sur les prophètes de Baal, puis un sentiment de terreur en raison des menaces de Jézabel (1 Rois 19.2,3). Il s’enfuit alors et tomba dans la dépression, aspirant même à mourir. Il s’assit sous un genêt et demanda la mort en disant : Cela suffit ! Maintenant, Seigneur, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères. (verset 4) Dieu fit preuve de patience et prit en considération l’état de fragilité émotionnelle de son messager, ce qui souligne sa capacité à comprendre la souffrance émotionnelle et son désir de veiller sur ses serviteurs lorsqu’ils marchent dans la vallée de l’ombre de la mort.DDP 181.3
Les prophètes prédisaient souvent des désastres et le châtiment des péchés. Ces déclarations étaient généralement reçues avec indifférence par le peuple, mais les prophètes souffraient des conséquences de la désobéissance et étaient conscients de ce qui allait alors se produire. Jérémie fait une description poignante dans Jérémie 4.19: Mes entrailles ! Mes entrailles ! Je souffre de toutes les fibres de mon cœur ! Mon cœur frémit, je ne peux pas garder le silence ; car j’entends le son de la trompe, les acclamations de la guerre . Comme le souligne Huey, «la souffrance qu’il [Jérémie] ressentit en annonçant la destruction de Jérusalem est révélée par cette exclamation : «Mon tourment, mon tourment !» Dans son esprit, Jérémie pouvait déjà entendre le son des trompettes de l’ennemi qui approchait et se préparait à donner l’assaut contre sa ville bien-aimée. La pensée de cette catastrophe lui fendait le cœur ».DDP 182.1
On trouve un verset similaire et riche en expressions relatives au corps et parlant d’émotions dans Habacuc 3.16. Dans sa prière qui est le prolongement de son échange avec Dieu, Habacuc exprime sa terreur à l’idée du châtiment de Juda. Ses paroles contiennent de nombreuses expressions métaphoriques décrivant la peur : J’ai entendu, et mes entrailles ont frémi. A ce bruit mes lèvres balbutient; mes os pourrissent, et sans bouger je frémis d’attendre le jour de la détresse où notre assaillant attaquera le peuple. (Habacuc 3.16) Comme le souligne Palmer Robertson :DDP 182.2
«Les paroles du prophète concernant l’effet que le message de Dieu eut sur lui ne doivent pas être considérées uniquement comme une figure de style. Il décrit une véritable expérience physique qu’il vécut alors qu’il prenait la mesure de la signification de la vision. Son plexus solaire se serra. Ses faibles efforts pour poursuivre le dialogue avec le Tout-Puissant firent frémir ses lèvres. Il eut le sentiment que ses os pourrissaient. Ses jambes se mirent à trembler .»DDP 182.3
La déclaration de foi d’Habacuc est d’autant plus frappante. En effet, il déclara : Mais moi, j’exulterai dans le Seigneur, je trouverai de l’allégresse dans le Dieu de mon salut. (verset 18)DDP 182.4